Dans l’art de mettre en scène les opéras d’Offenbach, Laurent Pelly a fait des émules. Sans confiner au mimétisme, la Périchole proposée à Nantes, Rennes, Angers et Lille par Bérangère Jannelle (venue du théâtre, elle a fait ses armes auprès de Stéphane Braunschweig et de Klaus Michael Grüber) n’est pas sans rappeler les virevoltantes productions de la Belle-Hélène, de la Grande Duchesse, des Contes d’Hoffmann ou d’Orphée aux Enfers montées au Châtelet, à Genève et à Lyon par le camarade de Marc Minkowski. Principale filiation : le traitement très ironique du synopsis et des personnages. Don Andrès a les traits (et les grosses lunettes noires) d’un Pinochet de pacotille, les artistes ambulants que sont la Périchole et Picquillo deviennent des clochards, le palais du vice-roi a des faux airs de boîte de nuit un peu ringarde. Cette distanciation faite de second degré satisfait pleinement par sa cohérence avec l’esprit d’un compositeur qui lui-même n’hésitait pas à singer les manies et les tics musicaux de ses contemporains (dans la Périchole, c’est notamment cet engouement pour l’exotisme de guingois, particulièrement tenace en cette fin de second Empire, qui est caricaturé). Mieux, en s’interdisant le recours systématique au gag, Bérangère Jannelle se distingue également par sa capacité à laisser la musique s’exprimer spontanément ; c’est donc de la partition elle-même que provient un humour jamais artificiel.
Laisser la musique s’exprimer, un mot d’ordre tout-à-fait bienvenu quand les prestations sont du niveau entendu ce soir-là à Rennes. A la tête d’un Orchestre de Bretagne très bien préparé (les cuivres et les bois, notamment, ne déméritent jamais quand viennent leurs solos), Stéphane Petitjean montre les qualités d’un vrai chef de chant (il l’a été notamment pour Rattle, Boulez, Dohnanyi, Nagano,…) : le plateau bénéficie d’une attention constante, fondatrice d’une cohésion jamais prise en défaut entre les musiciens et les chanteurs.
Flattés par l’environnement scénique et orchestral, ceux-ci s’épanouissent avec bonheur. En premier lieu, Stéphanie d’Oustrac endosse avec succès le costume de la Périchole. Sa voix, qui subjugue par son ampleur et sa maîtrise (du vibrato, du legato), s’allie à une présence pétulante pour former un personnage complet, formidablement attachant dans sa Lettre d’adieu du I et, plus loin, dans l’incontournable « Tu n’es pas beau, tu n’es pas riche ». Face à une telle partenaire, Martial Defontaine peut faire preuve de toute la bonne volonté du monde, il n’en paraîtra pas moins un peu effacé –question de fantaisie, d’inventivité, de plénitude vocale aussi. La plénitude vocale manque également au Don Andrès de ce soir, plutôt raide vocalement. Mais Franck Leguérinel est de ces chanteurs dont l’abattage emporte tout sur son passage : dictateur risible, le personnage qu’il dessine justifie une fois de plus le succès qui entoure chacune de ses incursions dans ce répertoire. Le reste du casting, drôle et dynamique, à l’image du Comte Miguel d’Erick Freulon et du Don Pedro de Mathias Vidal (mais on voudrait aussi citer le trio de cousines formé par Karine Godefroy, Cécile Galois et Julie Pasturaud), ne dépare pas une équipe chaleureusement applaudie au rideau final (au point de reprendre, deux fois, le chœur qui conclut l’acte I). Offenbach et les Fêtes, un duo toujours gagnant !