Vincenzo Bellini (1801-1835)
Norma
Operia seria en deux actes créé en 1831 sur un livret de Felice Romani, d’après la tragédie d’Alexandre Soumet Norma ou l’Infanticide
Norma : Lina Tetriani (soprano)
Adalgisa : Paulina Pfeiffer (mezzo)
Pollione : Nikolai Schukoff (ténor)
Oroveso : Wojtek Smilek (basse)
Clotilde : Blandine Staskiewicz
Flavio : Luciano Botelho
Direction musicale : Jean Christoph Spinosi
Chef de chœur et assistant du chef d’orchestre : Nicholas Jenkins
Chef de chant : Simone Luti
Ensemble Matheus
Chœur du Châtelet
Mise en scène : Peter Mussbach
Décors : Peter Mussbach et Daniela Juckel
Costumes : Andrea Schmidt-Futterer
Lumières : Alexander Koppelmann
Dramaturgie : Axel Bott
Assistante de la mise en scène : Tine Buyse
Assistante aux costumes : Anne-Marie Underdown
Paris, Théâtre du Châtelet, mardi 18 janvier 2010
Des boyaux pour secouer les tripes
Près de dix ans après la dernière représentation de Norma à Paris Jean-Luc Choplin fait le pari de monter le chef-d’œuvre de Bellini sur la scène du Châtelet.
L’idée qui sous-tend ce projet, mené par le chef Jean-Christophe Spinosi, consiste à jouer l’opéra tel qu’il fut écrit en 1831, épuré des gloses et scories qui l’ont progressivement dénaturé. En effet, le manque d’indications métronomiques, et de didascalies, la réédition de la partition courante dum viveret, la multiplication des spartini, et les nombreuses réorchestrations posthumes ont contribué à perdre, au fil des interprétations, le son et la théâtralité bellinienne.Mais, après un savant travail de recherche, Jean-Christophe Spinosi nous restitue une partition d’origine si éloignée des versions de références que le public parisien lui réserve un accueil très mitigé.
Tout d’abord, l’opéra est joué sur des instruments d’époque. Ensuite, comme le rappelle le livret abondamment documenté, l’orchestration d’origine a été respectée, afin de mieux servir le style mélodique et les procédés dramatiques de l’œuvre ; notamment dans l’emploi d’une section de contrebasses aussi nombreuse que celle des violoncelles, selon une tradition héritée du XVIIIe. Cette disposition permet de donner une texture musicale plus sombre, propice à l’évocation du drame.
Les chants de la partition originale ont été rétablis dans leur intégralité, à commencer par les strophes chantées par Adalgisa dans le « Vanne, si, mi lascia » afin de constituer un véritable trio avec Norma et Pollione. Puis, la mélodie « Teneri figli » exposée une première fois au violoncelle et reprise comme indiquée dans la partition d’origine. Enfin, le mode de terminaison du chœur « Guerra, guerra » est modifié afin d’obtenir une musique plus lumineuse.
Finalement, les tempi et suspensions sont reconstruits à partir des indications métronomiques de I Puritani. Il en résulte une forte accélération rythmique, un raccourcissement des suspensions et la suppression des distorsions mélodiques, résultat de la mauvaise interprétation des nombreux points d’orgue notés par le maestro. L’effet est frappant dans le « Norma viene : le cinge la chioma ».
Le résultat est spectaculaire à plus d’un titre. Même si le public est aujourd’hui familiarisé avec les sonorités plus acidulées des instruments d’époque, il faut reconnaître que les cordes en boyau et les cuivres naturels modifient profondément la couleur de l’orchestration. Les timbres obtenus ne se recouvrent pas, permettant de retrouver la transparence et la clarté de la polyphonie. En contrepartie, la coloration est incontestablement plus sèche, l’orchestre moins homogène et moins puissant.
En conséquence, le rapport entre la voix et les instruments change considérablement. Le diapason est plus bas, permettant aux chanteurs d’être plus à l’aise dans l’aigu. L’orchestre sonnant moins fort, les voix ne sont plus contraintes de projeter à outrance pour dépasser la fosse.
La modification des tempi a un impact plus important encore. Le rythme s’accélérant, nous obtenons une interprétation toute en force et en impétuosité. L’effet est caractéristique dans le duo « In mia man alfin tu sei » qui gagne en hargne et en théâtralité ce qu’il perd en tristesse majestueuse.
En définitive, si le spectacle musical donné par Spinosi à la tête de son ensemble Matheus, semble abrupt et sec à nos oreilles habituées aux sonorités modernes moelleuses et enveloppantes, il est pourtant beaucoup plus fidèle à l’esprit de Norma. Malheureusement, le public n’a retenu que les erreurs de justesse notamment celles des cors naturels (quel grand corniste n’a jamais trébuché dans cet exercice !) et le manque d’unité de l’acte I. Et pourtant, la palette sonore ainsi restituée n’est-elle pas d’une diversité prodigieuse ? Le solo des violoncelles au début de l’acte II n’a-t-il pas gagné en luminosité ? Le chœur « Guerra guerra »n’est-il pas marqué d’une fureur et d’une passion nouvelle grâce à la montée en puissance des contrebasses et l’explosion finale des cuivres ? Il faut bien admettre enfin que le concertato final concentre une tension et une charge émotive considérable !
Face à l’orchestre, une troupe de jeunes chanteurs a été sélectionnée. Rappelons que Giuditta Pasta, n’avait que 34 ans lorsqu’elle créa Norma. Lina Tetriani tient le rôle-titre, un personnage dans l’univers Bellinien pour lequel la gamme de nuances d’états affectifs est la plus large et détermine l’emploi le plus varié de styles de chant. Or, malgré d’évidents atouts de belcantiste, un timbre de voix corsé et charnu, et une indiscutable aisance technique, les moyens de la soprano américano-géorgienne ne sont pas encore suffisamment développés pour lui permettre de figurer au rang des mémorables Norma. Mais reconnaissons qu’au fil de la partition, son chant a gagné en contrastes, et en puissance évocatrice, pour finir sur un « Non volerli vittime »d’une grande beauté.
L’un des plus grands plaisirs de cette soirée nous a été offert par Paulina Pfeiffer incarnant une Adalgisa sensuelle, ardente, resplendissante de jeunesse. Encore peu familière des grandes scènes internationales, cette mezzo au timbre clair et éclatant, se joue des difficultés de la partition, caracolant jusqu’au contre-ré dans son duo avec Pollione. Cette nouvelle Adalgisa nous offre un éventail de couleurs d’une extrême richesse, allant de la caresse au pépiement joyeux, de la peur au dédain outré, et ce, tout en cabriolant sur scène dans les positions les plus acrobatiques.
Pollione était interprété par l’autrichien Nikolaï Schukoff, presqu’aussi plaisant à entendre qu’à regarder dans une semi-nudité toute d’or façonnée. Il est vrai qu’un de ses ut a craqué, et qu’on peut lui reprocher quelques rudesses et coups de glottes notamment dans le « Me protegge », mais son timbre mâle, d’une belle vaillance et l’expressivité de son chant séduisent. Il faudrait être de marbre pour ne pas céder à son étreinte après ce sublime « Va crudele ».
Finalement, Nicolas Testé souffrant, c’est Wojtek Smilek, Oroveso notoire,qui a interprété le rôle.
Rejouer Norma à Paris après 10 ans de silence, requerrait une mise en scène à la hauteur du mythe. Peter Mussbach s’y est employé en déployant sous nos yeux un monde majestueux et onirique qu’on eu pu croire sorti de la Théogonie d’Hésiode : un univers vaporeux, plein de l’hypnotique présence d’une gigantesque boule, sélénite divinité ; une grande prêtresse calfeutrée dans un manteau de comètes, à l’image de l’iconique Médée de Delacroix ; une cérémonie votive au dieu Irminsul, pleine de scènes de folies idolâtres, de danses bachiques Titianesques ; un peuple d’insurgés galates immaculés par les reflets argentés de la lune protectrice, s’opposant à l’ennemi romain rayonnant de tout l’or du soleil. Quelques esprits chagrins pourraient reprocher un concept sans grande épaisseur dans ce « huis clos où tout se sait », mais qu’importe lorsque l’on sait jouir de l’infinie poésie qui s’en dégage.
Laëtitia Stagnara