Le nom de Barbara Hendricks est de ceux qui remplissent les salles de concert. Son charisme, son habileté vocale, son engagement pour les grandes causes humanitaires lui ont valu des hommages internationaux. Originaire de l’Arkansas, ayant vécu en France une dizaine d’année avant de devenir suédoise, elle n’est pas une cantatrice comme une autre, elle est une statue emblématique. La France l’a nommée Chevalier des Arts et Lettres et Chevalier de la légion d’honneur. Ses participations à des inaugurations et des célébrations officielles médiatisées ont fait connaître son nom et entendre sa voix bien au-delà de la sphère lyrique. Le public est donc venu en nombre au Théâtre des Champs-Élysées pour ce Voyage d’hiver inattendu que la grande dame a osé entreprendre.
En dépit de ses dons éclectiques — elle est aussi une chanteuse de jazz —, la tessiture de soprano et le tempérament lisse de Barbara Hendricks conviennent mal à l’ardente errance solitaire du voyageur, héro des poèmes de Müller mis en musique pour une voix d’homme. Non pas que ce cycle schubertien soit interdit à une femme. À la Cité de la musique, le bel alto de Nathalie Stutzmann, soudé au chant poignant du piano de sa partenaire Inger Sodërgren, a su nous convaincre du contraire.
Toutefois pour ce concert, il convenait de rendre l’œuvre accessible à un large public. On a donc élaboré une mise en lumière destinée à créer une ambiance propice aux tourments de l’âme. Au lieu de favoriser l’écoute, ces projections de formes oblongues disharmonieuses et de textures végétales ou organiques non identifiables ne font que distraire. Afin de pallier l’absence de surtitres, la chanteuse psalmodie elle-même, aux moments clés, une traduction française des poèmes allemands. On ne saurait être sévère pour une prononciation rarement fautive, mais ces intermèdes récités ne dépassent pas un niveau scolaire sans âme. Le chant en est-il affecté ? La question peut se poser ; ce serait à Barbara Hendricks d’y répondre. Si la présence ne manque pas de noblesse et si l’interprétation est souvent délicate, la voix est amenuisée, les aigus éteints, la diction molle. Aucun des élans, des désespoirs et des sursauts de révolte contenus dans ce sombre chef d’œuvre romantique ne passe la rampe.
Le jeu essentiellement rythmique du pianiste accompagnateur, Love Derwinger, est impuissant à créer l’atmosphère susceptible d’inspirer la star. Il semble à peine se soucier de ne pas couvrir sa voix dans les forte. Sans l’habillage expressif de l’instrument, la voix inadéquate de Barbara Hendricks se perd dans l’ennui d’un voyage qui paraît long.
Dieu soit loué ; l’Ave Maria du même compositeur qu’elle octroie en bis au public la ramène à bon port.