Gioacchino Rossini (1792-1868)
La Donna del Lago
Melodramma en deux actes de Gioacchino Antonio Rossini (1792-1868)
Livret d’Andrea Leone Tottola d’après «The Lady of the Lake» de Sir Walter Scott
Nouvelle production en coproduction avec le Theater an der Wien
Mise en scène, Christof Loy
Décors et costumes, Herbert Murauer
Lumières, Reinhard Traub
Dramaturgie, Yvonne Gebauer
Chorégraphie, Thomas Wilhelm
Giacomo V, Luciano Botelho
Douglas, Bálint Szabó
Rodrigo, Gregory Kunde
Elena, Joyce DiDonato
Malcolm, Mariselle Martinez
Albina, Bénédicte Tauran
Serano, Fabrice Farina
Choeur du Grand Théâtre de Genève
Direction, Ching-Lien Wu
Orchestre de la Suisse Romande
Direction musicale, Paolo Arrivabeni
Grand Théâtre de Genève, le 5 mai 2010,
Beaucoup de huées pour rien
Après Venise et Milan, L’Italienne à Alger, Le Turc en Italie, c’est à Naples que s’épanouit le romantisme de Rossini lorsqu’il explore dans ces années de travail foisonnant, l’univers magique et tourmenté à souhait de la lande écossaise pour composer La Donna del Lago, créée en 1819 au Teatro san Carlo. Inspiré d’un poème de Walter Scott (The Lady of the Lake), le contraste de l’ouvrage entre les brumes du nord et les accents colorés de sa musique promet tous les délices.
Pour cette nouvelle production, intronisation du metteur en scène favori de la nouvelle direction, ni lac obscur, ni bruyère vivace mais proposition falote. Les jeunes amoureux miment bien une promenade en barque adorable. Des sylphides ébouriffées, cœurs sanglants, imaginées par Thomas Wilhelm virevoltent dans une chorégraphie aléatoire. Soit. Pour le reste, le propos « premier degré burlesque » manque de pertinence. Le metteur en scène et son équipe seront d’ailleurs copieusement hués et invectivés. Si certains déplorent une lecture de l’œuvre qu’ils jugent grossière et anachronique, années 40 en lieu et place du XVIe siècle attendu – paroisse tenant lieu de château, théâtre pour forêt – la tentative de détournement était pourtant prévisible de la part d’un metteur en scène récompensé d’un Laurence Olivier Award pour son Tristan und Isolde au Royal Opera House. Christof Loy laisse le public du Grand Théâtre choqué (on se demande par quoi) et/ou ennuyé.
Le spectacle s’invite enfin à l’issue d’une première partie poussive, grâce au travail des lumières de Reinhard Traub et paradoxalement au silence installé par Christof Loy sur le plateau. Le duel des ténors est figuré au canif, la salle pouffe. La Dame du Lac chez les Monty Python ? Les rivaux hésitent entre couteau suisse et Excalibur. Mais ces bribes d’humour restent rares et maigres, l’ennui parasite le premier acte. Au suivant, l’orchestre, les solistes, les chœurs souples, impeccables se recentrent au diapason de Joyce DiDonato, incarnation experte de la jeune fille rêveuse. Toute à son talent, généreuse dès son apparition sur la scène de Neuve, réserve faite quant à l’amorce de certaines phrases, Joyce DiDonato emplit le théâtre de sa voix rompue aux arcanes du belcanto.
Musicalité, couleurs, ornements, élégance, la cantatrice nous offre tout plus que tout autre dans cette production. Merci pour le rondo alerte d’Elena, rappelant celui de La Cenerentola, souffrance poético-romantique en sus pour l’artiste blessée1.
Uberto, le roi Gustavo juvénile, interprété par le ténor brésilien Luciano Botelho s’essouffle vite : faussetés dans les aigus, volume un peu faible dans les graves. Il perd le rythme et avale l’italien. L’ensemble est attendrissant, un peu trop.
Mariselle Martinez s’en sort avec les honneurs dans le rôle de Malcolm, coloratures inégales – tantôt hésitantes, tantôt merveilleuses – graves impressionnants. La tenue de femme choisie par Christof Loy n’apporte rien de plus au propos.
Avec quelques problèmes de justesse, la voix puissante de Gregory Kunde n’est quant à elle pas si convaincante. Surtout on abhorre la posture certes vaillante mais caricaturale à force d’emphase.Dans les années 90 il chantait le rôle du roi. Malgré des graves fuyants, celui de Rodrigo correspond mieux à présent à sa voix, plus proche du baryténor que du contraltino. La basse de Bálint Szabó nous parvient un peu jeune pour le rôle de Douglas. Mais le travail est d’une justesse réconfortante, la projection est contrôlée, toute à la majesté anarchiste du rebelle. La discrète Bénédicte Tauran, pour ses débuts au Grand Théâtre, délivre un chant délicat. Mais la harpe vole la vedette à son Albina.
Dans la fosse, la baguette de Paolo Arrivabeni, directeur musical de l’Opéra royal de Wallonie, limpide, se révèle au rythme des entrées en scène. Le charisme appelle le charisme. L’orchestration puissante de l’ouvrage soutient la pulsation de l’histoire, l’alternance de temps dramatiques et lyriques. L’ensemble rondement tenu reste tout de même un peu lisse. Les représentations suivantes devraient livrer les reliefs manquants à cette première. De son côté, la Banda sur scène répond avec la même justesse.
On rend grâce à cette délicieuse soirée belcantiste, à l’écart des secousses politiques qui agitent le théâtre calviniste2. Sur fond de sentiments exacerbés, anti-Hélène de Troie, cette Dame du Lac, par l’amour qu’elle inspire au Roi, apporte la paix au royaume. La lumière boréale bien absente de l’acte I nous est finalement dispensée par la grâce de Joyce DiDonato qui irradie de bonheur. Happy end !3
Carine Tailleferd
1 Pas d’annonce avant le lever de rideau alors que Joyce DiDonato doit souffrir le martyre (l’américaine porte une attelle dissimulée dans une botte noire). C’est à se demander si le rôle n’est pas maudit. La Colbran, première interprète d’Elena, dut renoncer à chanter après avoir usé sa voix dans les rôles écrits à son intention par son futur époux (elle épousa Rossini en 1822) tels Armida, Ermione, Desdemona… Joyce DiDonato, ruse quant à elle pour dompter son handicap, grâce aux postures assises ou couchées aménagées par le metteur en scène.
2 Lire à ce propos l’article paru dans La Tribune de Genève le 22 avril dernier
3 A lire aussi au sujet de La Donna del Lago, le dernier numéro de L’Avant-Scène Opéra entièrement consacré à cet opéra