Traduit en douze langues, joué 40 000 fois, Phi-Phi est l’exemple même d’un succès dû davantage à une conjonction de facteurs qu’à la valeur intrinsèque de l’œuvre. Sa création en 1918, un mois après la signature de l’armistice, tomba à point nommé pour divertir un public parisien qui cherchait avant tout à oublier les horreurs de la guerre. Le livret, subtilement grivois, copie la recette élaborée par Offenbach. A Jupiter rebaptisé Jupin dans Orphée aux enfers, succède Phidias, surnommé Phi-Phi par une épouse dont la vertu ne résistera pas aux ardeurs du bel éphèbe Ardimédon. Périclès et Aspasie, elle-même maîtresse de Phi-Phi, forment avec ce trio de vaudeville « le quintette de l’équilibre parfait du bonheur conjugal ». Situé dans une antiquité idéalisée, ce sont les anachronismes et l’érotisme des situations qui séduisent, bien plus qu’une intrigue dont les auteurs étirent sur trois actes le fil déjà ténu. La musique ne s’embarrasse pas plus de science. Des rythmes à la mode – fox-trot, one step –, des mélodies entêtantes, peu d’ensemble et des airs qui s’apparentent à des chansons. Christiné pose les fondements de la comédie musicale avec suffisamment de charme pour que le spectateur d’aujourd’hui y trouve à moitié son compte.
A moitié seulement car pour ranimer cette délicieuse pochade, Les Brigands ont peut-être péché par excès d’ambition. Musicalement, il n’y a rien à redire. La révision par Thibault Perrine de la partition pour 5 solistes, un chœur de 9 femmes et 10 musiciens fonctionne parfaitement. Quand il ne donne pas la réplique en Périclès, Christophe Grapperon communique à l’orchestre cet enjouement qui est nécessaire à l’opérette. Nouvelle venue dans la troupe, Lara Neumann tient en Aspasie la corde d’une distribution qui comme à chaque fois privilégie l’esprit d’équipe. Emmanuelle Goizé (Madame Phidias), toujours musicale, n’hésite pas à dévoiler la rondeur de ses charmes et, projeté au premier plan, Olivier Hernandez (Ardimédon) fait valoir un talent vocal que les productions des années précédentes ne lui avaient pas permis d’exposer. Dans le rôle titre, Gilles Bugeaud joue mieux qu’il ne chante mais là n’est pas le problème.
Pour stimuler un scénario dont on a dit l’insuffisance, Johanny Bert a bâti sa mise en scène autour de cinq marionnettes qui représentent les cinq personnages de l’œuvre. Constituées de morceaux détachés (tête, buste, bras, jambe), dans une « esthétique contemporaine inspirée de la statuaire grecque », ces marionnettes se chargent de mimer les répliques que les artistes, placés sur le côté, disent dans le noir. Dès qu’intervient la musique, ils se replacent sur le devant de la scène pour pousser la chansonnette. Chaque marionnette « est manipulée à vue par trois comédiennes au prix d’une coordination et d’une écoute indispensables à la crédibilité physique du personnage » explique Johanny Bert dans la note d’intention. Des comédiennes qui sont aussi les choristes et dont il faut saluer la dextérité. Aucun faux pas, une synchronisation parfaite dans la manipulation des éléments, une habileté qui tient de la chorégraphie. Du grand art. Mais le procédé, en accentuant la frontière entre musique et parole, brise l’élan de la pièce. Placés hors champ, réduits à une voix quand ils sont aussi geste et visage, les comédiens peinent à habiter leur personnage. On les sent emprisonnés dans un système qui « permet de mettre en confrontation le présent et l’esthétique du passé, de confronter corps de chair et corps de pierre » (C’est encore Johanny Bert qui explique). Est-on sûr que l’on parle bien là de Phi-Phi ? L’opérette de Christiné est comme Aspasie, une « gamine charmante » qui ne demande pas tant d’intelligence.