Chaque année, l’Opéra national du Rhin propose une grande production d’opéra pour son jeune public. Cette production s’accompagne depuis quelques saisons d’un livre illustré destiné aux futurs spectateurs, entre autres, car l’objet est très joliment fait et peut s’appréhender sans avoir vu le spectacle. Une belle initiative dont il faut saluer l’originalité et le succès.
La production de l’an dernier, le formidable Aladin et la lampe magique de Nino Rota, avait marqué les esprits (cf. notre compte-rendu). Hélas, on est loin d’une telle réussite avec cet Ali Baba…
Précisons d’emblée que, comme toujours, la production est irréprochable : beaux décors, mise en scène imaginative, les moyens sont là et impressionnent.
Mais disons que notre première interrogation se porte sur la nécessité d’avoir exhumé une œuvre vraiment peu marquante. Certes, l’histoire d’Ali Baba parle à un jeune public, mais la partition (créé à l’Opéra de Paris en 1833) est typique du grand opéra à la française du XIXe s. avec tous les prototypes musicaux de l’époque : ouverture (longue, très longue, trop longue….), ballet, récitatifs, grands airs, cabalettes, airs héroïques, etc. Ce discours austère est peu immédiat et attrayant pour un jeune public. Mais surtout, aucune scène, aucun air, aucun ensemble n’émerge réellement. Tout est, musicalement, très terne. Berlioz détestait d’ailleurs l’ouvrage, n’y entendant aucune idée originale. Ce n’est certes guère étonnant quand on connaît les rapports entre les deux hommes, mais même Rossini estimait la partition de Cherubini pâle et sage… Seul Mendelssohn y trouvait quelques beautés tout en en déplorant une orchestration lourde. Que n’aurait-il dit après avoir entendu l’arrangement absolument atroce qui nous a été offert ici… !
Il était en effet exclu de proposer pour un spectacle jeune public le prologue et les 4 actes dans leur intégralité (3 heures de musique) ni de mettre en fosse un grand orchestre symphonique. Des coupures (réduisant l’ouvrage à 1h30 environ) et un arrangement orchestral ont donc été réalisés pour l’occasion. Ce fait, bien que critiquable, est compréhensible. Mais le gros point noir de cette production est, justement, le résultat sonore…
La nomenclature de l’ensemble (d’une vingtaine de musiciens), déjà, fait peur : 8 vents (1 flûte traversière, 1 clarinette, 3 saxophones, 1 trompette, 1 trombone… et 1 tuba !) contre un malheureux quintette à cordes, un piano qui tombe comme un cheveu sur la soupe, 1 cymbalum, des ondes Martenot et un pupitre de percussions conséquent avec timbales, cymbales à main, caisse claire, glockenspiel, marimba… Ne manquent plus que la grosse caisse et le tam-tam ! Un tel déséquilibre est ahurissant. S’il pourrait être compréhensible lorsque l’effectif est imposé par des contingences diverses (écrire pour un lycée par exemple, où on fait avec ce que l’on a parmi les élèves), ce n’est pas le cas ici où l’arrangeur a eu le choix des instruments parmi les classes du Conservatoire de Strasbourg. Si le souhait manifeste d’intégrer des élèves du plus grand nombre possible de classes différentes est louable, il aurait fallu tout de même réfléchir à l’avance au résultat qu’un tel mélange pouvait rendre. En outre, quel est l’intérêt de placer des ondes Martenot ou un cymbalum si c’est pour ne leur faire jouer que 3 notes.
Le résultat sonore – c’était couru d’avance – sonne horriblement mal ; mal fichu, parfois lourd, parfois franchement ridicule avec ce pupitre de percussions démesuré par rapport au reste de l’orchestre. Les interventions du glockenspiel sont grotesques, l’écriture des timbales ahurissante (avec des changements de notes incessants) et tout à fait hors-style (mais avec la présence de 3 saxophones, on aura compris qu’on n’est pas à ça près…), le plus ahurissant étant tout de même un air d’Ali Baba accompagné par le marimba ! On se pince pour y croire. Côté vents, ce n’est guère mieux avec les 3 saxophones envahissants ou un tuba qui était vraiment dispensable. Le quintette à cordes paraît on ne peut plus chétif, sinon ridicule, par rapport à toute cette masse et il devient complètement inaudible dès que l’armée de vents et de percussions intervient. Quant au piano, on passera sur son écriture absurde (quand il ne double pas les cordes…), notamment pour les récitatifs où il plaque de méchants et désagréables accords (mal écrits avec de trop grands trous entre la main gauche et la main droite, des quintes graves à la main gauche…). On nous rétorquera que l’on n’a pas cherché l’authenticité, que l’anachronisme peut révéler des aspects de la musique, etc. Certes. Mais si Bach par exemple résiste (presque) à tout, Cherubini nous semble moins adapté à ce genre de traitement…
Le chef Vincent Monteil a beau se démener avec talent : rien n’y fait, c’est horriblement arrangé et ça ne sonnera pas correctement (il faut aussi reconnaître que l’orchestre n’est pas irréprochable du côté des cordes… Le manque probable de répétitions se fait cruellement sentir en cette deuxième représentation). Aussi soutient-il les chanteurs du mieux qu’il peut, et ils doivent bien en avoir besoin pour se repérer dans ce fouillis.
Comme on l’a dit plus haut, cet opéra est, au départ, un grand opéra à la française en 4 actes et un prologue avec tous les clichés qui y sont associés. Il faut donc des voix conséquentes pour affronter une écriture périlleuse et exigeante. Les créateurs des rôles principaux furent rien de moins que Marie-Conélie Falcon et Adolphe Nourrit ! N’était-ce pas, là encore, un choix un peu hasardeux de confronter les jeunes chanteurs de l’Opéra Studio à une telle écriture où la plupart se cassent le nez ?… A commencer par le pauvre ténor, John Pumphrey, qui, malgré un joli timbre, n’est pas en mesure d’affronter une tessiture crucifiante. Il en est un peu de même pour la Délia de Hanne Roos qui semble elle-même peu convaincue de la pertinence de sa présence sur scène… L’Ali Baba de Yuriy Tsiple convainc bien davantage mais ceux qui s’en sortent le mieux sont indéniablement Jean-Gabriel Saint-Martin (il nous avait déjà ébloui l’an passé dans Aladin) avec un baryton clair et une prononciation impeccable (tout au plus lui reprochera-t-on des aigus un peu trop ouverts), et la superbe mezzo d’Eve-Maud Hubeaux, même si elle était mieux mise en valeur l’an dernier, toujours dans Aladin. Ce sont en tout cas deux voix à suivre.
L’idée de confier les 40 voleurs aux enfants de (l’excellente) maîtrise de l’Opéra national, est, sur le papier, séduisante, mais au final peu convaincante tant l’écriture chorale de Cherubini réclame un chœur d’adultes (qui seraient en outre plus inquiétants que des enfants…). Rien à reprocher cependant aux talentueux jeunes choristes et à leur formidable chef, Philippe Utard.
Comme nous l’évoquions dès le début de ce compte-rendu, la mise en scène de Markus Bothe est pleine d’imagination même si elle fait usage de clins d’œil au monde du cinéma et du dessin animé (« chorégraphie » faisant allusion à Pulp Fiction, Ours Khan déguisé en Inspecteur Gadget…) peu convaincants pour le coup, et trahissant une certaine facilité (sinon fragilité face à la partition : il faut « meubler » !). Le décor représente un sol en vagues qui, lorsqu’il se soulève, laisse apparaître la fameuse grotte des voleurs. De beaux voiles colorés apportent de la variété à l’espace scénique. Le tout est réglé avec ingéniosité. Mais c’est bien peu pour sauver le spectacle…