Il est naturel qu’à quatre-vingt-trois ans Kurt Masur soit un homme pressé ; c’est à vive allure qu’il mène ce Fidelio dans sa version finale de 18141 — en omettant les dialogues parlés.
Hélas, à ce train-là, l’ouverture manque du rayonnement et des nuances nécessaires pour capter d’emblée l’attention. Mis à part certains moments saisissants comme le grand quatuor en canon, la marche patriotique et le chœur des prisonniers, ce qu’on pardonne difficilement ce soir au légendaire maestro allemand, grand beethovenien de surcroît, c’est de conduire le prestigieux Orchestre national de France, dont il a été longtemps le directeur musical, de manière aussi sèche et brouillonne.
Coincés entre des vents presque toujours trop forts et la masse des cordes, les solistes, loin du public, ont du mal à donner le meilleur. C’est ainsi que le duo badin entre Jaquino et Marzelline, chanté par le ténor mozartien, Werner Güra, musical mais peu puissant et la soprano Sophie Karthäuser est quasiment escamoté. Heureusement, dans le premier air sensuel et tendre où Marzelline rêve à un bonheur paisible avec un amoureux moins balourd sur un orchestre dont le cœur bat la chamade, la jeune cantatrice (Pamina très remarquée dès ses débuts) parvient à mieux faire entendre son timbre clair et velouté.
Capable de belles descentes dans le grave comme d’aigus lancés avec brio, Melanie Diener, soprano dramatique qui a fait ses preuves en Fiordiligi et Dona Elvira aussi bien que dans Elsa de Lohengrin, Sieglinde ou Gutrune, nous donne une Leonore à la fois intense, résolue et tendre ; elle s’avère la meilleure interprète de cette exécution décevante.
Pour les principaux personnages masculins, la distribution est loin d’être idéale. Kurt Rydl est le seul à chanter par cœur, mais la voix est fatiguée et son Rocco (plein de sagesse et d’humanité selon le livret) semble bien dur, surtout face au baryton Matthias Goerne qui, lui, peine à trouver ses marques dans le cruel Pizarro, gouverneur de la prison. Quant au ténor allemand Burckhard Fritz, appelé au dernier moment pour remplacer Jorma Silvasti, il est un solide Florestan à la voix bien projetée et homogène. Toutefois, malgré sa carrure impressionnante, il ne possède pas les épaules d’un chanteur charismatique susceptible de nous bouleverser par le « Gott » déchirant qui doit précéder « In des Lebens Frühlingstagen / Ist das Glück von mir geflohn! » (Aux jours du printemps de la vie/ Le bonheur a fui loin de moi) introduisant le somptueux monologue soutenu par un ensorcelant et subtil discours instrumental.
Sans doute mieux préparé que les autres participants, Le chœur de Radio France se montre bien chantant et engagé jusqu’au joyeux couplet final. Et il convient même de mentionner les prisonniers Bertrand Dubois et Patrick Radelet pour leur brève et poignante intervention en solo.
Si ce Fidelio en concert est loin de combler les mélomanes amoureux de l’œuvre telle qu’on peut l’entendre dans l’enregistrement de Klemperer avec Christa Ludwig et Jon Vickers, le public du Théâtre des Champs-Elysées rend à Kurt Masur un hommage justifié par l’ensemble de sa carrière. Le Maître remercie avec modestie en agitant — serait-ce en guise de mouchoir ? — la partition de Beethoven.
1 Voir : Elisabeth Bouillon, Léonore et Fidelio : Genèse d’un Opéra, Avant-Scène Opéra 1995, p. 80