Le vieil Orphée de Gluck, malgré un succès jamais démenti, vieillit étrangement. On se dit, en le retrouvant à Genève, que le compositeur, qui pourtant remania plusieurs fois la partition, aurait sans doute développé tel air, tel thème différemment des années plus tard. La version donnée ici est celle de Berlioz, soit en français et pour mezzo-soprano, ce qui n’empêche pas Jonathan Darlington, à la tête de l’orchestre de la Suisse Romande, d’approcher la partition de manière baroquisante. Son travail pour retrouver un phrasé et des attaques à l’ancienne est louable. Malheureusement, le résultat consiste surtout en des lignes étriquées et un son anémique. Anémique, à l’image de la voix d’Annette Seiltgen, au volume insuffisant, emprisonnée dans une même couleur du début à la fin de l’œuvre, incapable d’insuffler vie au rôle d’Orphée, fade jusque dans les plus belles pages. Fade, comme l’Euridice de Svetlana Doneva qui ne parvient pas non plus à nous offrir quoi que ce soit de vraiment convaincant.
Ce vieil Orphée avait pourtant, sous ses airs de petit être lunaire, albinos et fragile – le jeu scénique de l’interprète est à relever, et ce, sans réserve -, tous les traits d’un spectacle expérimental et neuf. Un opéra pour trois protagonistes, conceptualisé en deux parties principales par des planches dont les dessins, lugubres puis lumineux, sont toujours de facture naïve, et les costumes étranges : le tout, d’un onirisme fascinant. Ainsi l’Amour (Clémence Tilquin), sorte de statue vivante, nous offre la voix la plus séduisante de la soirée dans toutes les positions possibles… et impossibles. Ainsi, surtout, la chorégraphie de Mats Ek, qui forme en réalité l’épicentre de cette production. Parfois déplacées, les danses sont en général profondément pertinentes, et soulignent, à la manière de leitmotive l’implicite et les émotions. Intéressantes ? Belles ? Pas seulement, elles constituent aussi un magnifique exemple de l’intégration réussie du ballet dans un opéra.
Mais le vieil Orphée devait-il vraiment subir tant de tracas ? Alors, dans le tableau final, après ce chœur un peu pompeux où le dieu de Paphos et de Gnide (sic) anime l’univers, tout le monde s’en va. Et au milieu de son salon, Orphée s’assied, tout seul, et bien aise. Une fin sans nervosité romantique, dont la retenue toute classique est profondément émouvante. Loin d’être parfait, ce vieil Orphée aura su, finalement, toucher ; moins par sa lyre que par son personnage.