En février 2008, cette production de Luisa Miller avait fait l’objet d’un compte rendu peu enthousiaste ici même. Qu’en est-il de cette reprise, avec une distribution presque entièrement renouvelée ?
Force est de constater que les défauts de la production originale – étrillée par la critique de l’époque – n’ont pas été gommés. Si les costumes et les décors de William Orlandi, sublimés par les lumières de Joël Hourbeigt, séduisent l’œil (les photographies n’en restituent qu’imparfaitement le charme), la mise en scène statique de Gilbert Deflo se résume à une simple mise en place. Livrés à eux-mêmes, les chanteurs ont tendance à jouer gros et à abuser des moulinets, soulignant cruellement le ridicule de certaines scènes. Cette production proprette a toutefois le mérite de respecter le livret, et de ne pas distraire de la musique – les qualités de ses limites, en somme.
La distribution féminine est exemplaire : dès les premières notes, Krassimira Stoyanova (Luisa), rayonnante, s’impose comme une révélation. La soprano bulgare, qui débute sur la scène parisienne, possède les moyens du rôle, y compris l’agilité. Sa voix lyrique, bien projetée, au timbre à la fois charnu et lumineux, se détache avec netteté lors les nombreux ensembles qui jalonnent l’œuvre. L’interprète est délicate et sensible. Mais le plus admirable est sans doute le soin apporté à la ligne de chant, jamais pris en défaut. Les deux rescapées dde la distribution d’origine, Elsa Cenni (Laura) et surtout Maria José Montiel (Federica), tiennent parfaitement leurs rôles. On en vient presque à regretter que Verdi ait réservé un rôle si limité à la rivale de Luisa…
Quelque chahuté que paraisse parfois son bel instrument (on relève quelques notes poussives et détimbrages intempestifs), Marcelo Alvarez (Rodolfo), annoncé souffrant, signe une prestation attachante dans un rôle qui ne lui convient pas idéalement. Son style, son intelligence musicale et son art des nuances font cependant merveille dans un « Quando le sere al placido » désarmant de générosité. Hélas, le reste de la distribution masculine ne se montre pas à la hauteur du ténor argentin. Le métier et le charisme de Frank Ferrari (Miller), un habitué des lieux, ne sauraient faire oublier l’usure des moyens et un phrasé souvent haché. Si la basse bulgare Orlin Anastassov (Walter) impressionne par le mordant et la puissance de sa voix (que défigure malheureusement un grave« outre-tombesque »), son interprétation du rôle reste fruste – ce qui ne l’empêche pas de se tailler un franc succès auprès du public. Quant au gigantesque Arutjun Kotchinian (Wurm), il nous a paru – en dépit de son aplomb vocal – fort malchantant… En revanche, on ne trouvera rien à redire de Vincent Morell (un contadino) et des chœurs, bien préparés par Alessandro Di Stefano.
Bilan mitigé, donc ? Étrangement, on ressort galvanisé de cette représentation, sans doute grâce à la direction énergique de Daniel Oren, très attentif à l’équilibre entre la scène et la fosse, qui insuffle souffle et cohérence à une partition attrayante, mais non exempte de longueurs. Jamais l’ennui ne pointe le bout de son nez. C’était loin d’être gagné d’avance…