Soucieux de l’efficacité dramatique de son écriture, Puccini, qui se définit lui-même comme un « homme de théâtre » et un « visuel », a besoin d’imaginer les scènes pour composer sa musique. Pour cela, rien de tel que le sujet de la pièce de Victorien Sardou, La Tosca, que Puccini découvre lors d’une représentation à Milan en 1889 avec la grande Sarah Bernhardt dans le rôle titre. L’intensité du drame et les images fortes qu’elle suscite permettent au compositeur d’exploiter pleinement son génie théâtral. Des images fortes et du théâtre, c’est ce que propose l’Opéra National de Paris dans la mise en scène de Werner Schroeter qui nous a quittés il y a tout juste un an.
La scénographie épurée s’impose par sa profondeur et son relief grâce notamment au sol incliné qui parfois se perd dans l’obscurité. Au sein d’une conception abstraite, quelques éléments de décor réaliste indispensables au bon déroulement de l’intrigue habillent efficacement l’espace. Nous retrouvons ainsi la table du souper de Scarpia, le tableau de Marie-Madeleine ou encore la statue de la Madone représentée par une figurante qui réalise la performance de maintenir une position statique durant tout le premier acte. Le cadre de scène suggère subtilement les lieux comme les murs glacials du Palais Farnese où l’on distingue des meurtrières derrière lesquelles apparaissent des visages épiant le drame qui se déroule (ou encore une statue de l’ange qui se dévoile sur les derniers accords de l’opéra au moment ou Tosca se jette dans le vide depuis la plate-forme du château Saint-Ange). Les nombreux accès sur le plateau participent à la fluidité de la mise en scène. Dans ces conditions, les interprètes habillés en costumes d’époque peuvent interpréter pleinement leur personnage.
À commencer par Massimo Giordano dans le rôle de Mario Cavaradossi qui apparaît comme le grand triomphateur de la soirée. Il faut dire que la solidité de la voix et des aigus radieux durant la déclaration d’amour à Tosca « Ah: il moi solo pensier sei tu! Tosca sei tu » est jubilatoire et provoque immédiatement l’enthousiasme du public qui applaudit. Confirmant cette belle impression tout au long de l’opéra, Giordano contourne toutes les difficultés de la partition, notamment le « Vittoria » du deuxième acte. Sa voix puissante lui permet, dans la cabalette qui suit, de s’imposer aisément face à l’orchestre. Quant à l’air « E lucevan le stelle » du troisième acte, le chant allégé et ductile du ténor achève de séduire, tout comme le raffinement de son jeu.
Pour ses débuts à l’Opéra National de Paris, Iano Tamar n’hésite pas à affronter les difficultés du rôle de Floria Tosca. Si le timbre légèrement rauque surprend dans un premier temps, la soprano parvient à nuancer son chant en fonction des sentiments qu’exprime son personnage, déployant pleinement l’étendue de sa voix dans le deuxième acte.On regrettera cependant que certains aigus paraissent un peu forcés.
Franck Ferrari campe un Scarpia respectable. Le timbre sombre et le sens du phrasé donnent la consistance nécessaire au personnage sans toutefois le transcender. Le jeu de l’interprète mériterait sans doute davantage de nuance et de précision pour gagner en impact, notamment durant son affrontement avec Tosca dans le second acte.
Au pupitre, Renato Palumbo dirige l’orchestre avec un véritable sens dramatique. Tout en prenant soin d’établir un équilibre entre instruments et voix, il fait ressortir les subtilités de la partition illustrant dans une unicité incroyable, les diverses ambiances et les contrastes qui servent le drame.
Sylvain Angonin