On ne sait qui remercier en sortant de la matinée à l’Opéra Comique ce dimanche 15 mai. La Salle Favart, Les Arts Florissants et tous les artistes, les coproducteurs de cette « restauration » qui ira jusqu’à Brooklyn à nouveau ? Ronald Stanton, ce mécène américain, fou amoureux d’Atys, qui a désiré encourager cette reprise en la finançant ? Le travail de fourmi de William Christie pour reconstituer la partition et sa collaboration avec Jean-Marie Villégier pour adapter le poème de Quinault?
Le public, à la fin de la représentation, n’en finissait pas d’applaudir, d’ovationner et d’acclamer. On entendait des jeunes gens, visiblement sous le choc, qui venaient d’assister, là, à leur première représentation d’opéra ! L’auteur de ce compte-rendu voyait Atys pour la première fois au théâtre, avec la sourde inquiétude de voir son rêve mis à mal par une énième reprise. Or, à l’unisson du public, il veut juste rendre grâce aux artisans d’un spectacle mythique, qui, dans son rituel quasi chorégraphique, pourrait devenir une des rares mises en scène d’opéra à connaître le sort de certains ballets de Marius Petipa ! On a, en effet, l’impression qu’on peut le reprendre à l’infini, et qu’il ne vieillira jamais, car il est à la fois hors du temps et proche de nous.
La mise en scène de Jean-Marie Villégier a la simplicité de la vraie grandeur, les costumes de Patrice Cauchetier émerveillent, le décor à la fois austère et somptueux de Carlo Tommasi semble respirer, tant il offre d’aires de jeu et de parcours multiples au metteur en scène. Les lumières de Patrick Méeus sont splendides et très justes théâtralement, au point que les « douches », d’ordinaire si cruelles aux acteurs, semblent s’élever vers le ciel, nimbées, à la base, par des latérales qui ont les couleurs mordorées du crépuscule. La chorégraphie de Francine Lancelot (remontée avec talent par Béatrice Massin) rythme le spectacle, lui donne sa respiration, et va bien au-delà d’une simple reconstitution historique. Le poème de Quinault, en forme de lamentation, bouleverse tous les publics et la musique de Lully est sublime en son dépouillement et sa simplicité.
William Christie tenait à ce que les chanteurs aient tous un sens profond du langage et la nombreuse distribution réunie à l’Opéra Comique tient le pari. Le rôle-titre est interprété par le ténor suisse Bernard Richter, excellent chanteur, qu’on a souvent entendu sur les scènes de Paris et Genève, en particulier. La voix est claire et sonore et la technique sûre. Il est bouleversant dans la scène finale où son art fait merveille. Cependant, l’artiste exigeant qu’il est gagnerait en émotion à ne point trop « faire du son », par moments, et à laisser le beau timbre velouté de ses mezzo forte s’épanouir de lui-même.
Emmanuelle Negri interprète son amante Sangaride avec beaucoup de délicatesse. Paul Agnew, en Dieu du Sommeil, bouleverse par un chant en demi-teinte, raffiné et très prenant, et, à ses côtés la belle voix solaire du ténor Cyril Auviti rayonne. Les vétérans (ceux de la création de 1987 !) Nicolas Rivenq et Bernard Deletré méritent le juste hommage que leur rend le public. Enfin, Stéphanie d’Oustrac est souveraine. Son entrée en scène est digne d’une grande tragédienne. Elle mord dans les mots comme l’aurait fait une Crespin, sans jamais entraver un legato d’une grande noblesse. La voix est d’une beauté et d’une plénitude remarquables et elle reçoit un triomphe mérité.
Un spectacle qui vous trotte longtemps dans la tête et, comme Louis XIV, on aime passionnément cette œuvre.
Marcel Quillévéré