« La musique nait du partage avec les autres » affirme Leonardo Garcia Alarcon dans le programme de cet Acis and Galatea proposé par le Festival d’Aix-en-Provence. Puis le chef d’orchestre d’expliquer que cela nécessite un travail sur l’homogénéité et sur l’écoute des autres. La représentation de l’opéra pastoral de Haendel dans le cadre champêtre du Grand Saint Jean a valeur de démonstration. L’orchestre baroque de l’Académie européenne de musique est formé d’une quinzaine d’instrumentistes sélectionnés un peu partout en Europe. Neuf chanteurs se partagent en alternance les cinq rôles solistes et les cinq parties du chœur. Et, ce que l’on retient d’abord de la soirée, c’est une harmonie fusionnelle, la beauté d’ensembles où voix et instruments tout en préservant leur caractère propre se confondent en une polyphonie jouissive.
Afin de ménager ses jeunes solistes, Leonardo Garcia Alarcon a fait le choix de la première version d’Acis and Galatea, moins exigeante vocalement que la sérénade italienne composée sur le même sujet par Haendel dix années auparavant. Cette version est aussi mieux adaptée à l’intimité du Grand Saint Jean que la suivante, datée de 1739 et basée sur le modèle du grand oratorio à l’anglaise. Joelle Harvey (Galatea), Pascal Charbonneau (Acis) et Grigory Soloviov (Polypheme) y exposent un talent prometteur dont on renâcle à souligner les mérites respectifs tant, dans ce contexte, la somme des individualités prime sur l’individu. On se contentera de souligner la consistance des voix qui trop souvent dans le répertoire baroque pèchent par excès de modestie. Grigory Soloviov est un Polypheme sonore, à la présence réjouissante, plus bouffon qu’épouvantable, ainsi que l’a voulu Haendel. Le chant de Joelle Harvey possède à la fois rondeur et pureté. Le timbre de Pascal Charbonneau est suffisamment marqué pour ne pas faire d’Acis un portrait palichon mais au contraire dessiner un berger athlétique à la vocalise déliée. De l’orchestre sourd le caractère poétique de la partition, ses humeurs tendres, sa galanterie, ses coloris délicats qui évoquent la lumière d’un ciel d’été posé, entre deux nuages, sur un gazon anglais.
Une même poésie habiterait la mise en scène de Saburo Teshigawara si les nombreuses idées qui l’animent avaient mieux été exploitées. Les contorsions imposées aux chanteurs dans la première partie finissent par donner l’impression d’une danse de Saint-Guy. Les ombres projetées sur le mur du château ne sont que partiellement utilisées, tout comme cette lune ronde qui surgit sans raison derrière les branchages au milieu d’une aria puis disparait aussitôt sans ne plus jamais revenir. L’effet, d’une saisissante beauté, aurait demandé d’être mieux accordé à la musique. On aurait souhaité aussi des costumes qui, à l’exemple des décors, s’intègrent mieux à ce théâtre de verdure qu’est le Grand Saint-Jean (la tenue de latex noir de Polyphème le fait ressembler à une mouche géante). On aurait aimé une gestique moins abstraite. On aurait voulu que l’ensemble du spectacle finalement soit à l’image de la dernière scène dont, pour ne pas rompre le charme, on ne dira rien, si ce n’est que l’idée réussit l’exploit d’amuser et d’émouvoir à la fois.