Deux ans après sa création, la mise en scène de La Scala di Seta, reprise dans le cadre de cette nouvelle édition du Rossini Opera Festival, n’a rien perdu de son ingénieuse efficacité (cf. le compte-rendu de Brigitte Cormier). Les plus anciens de nos lecteurs se rappellent peut-être l’originalité du dispositif imaginé par Damiano Michieletto pour raconter cette farce en un acte, mise en musique par Gioachino Rossini alors qu’il n’avait pas 20 ans : la représentation à l’échelle 1/1 de l’appartement de Giulia, comme sur un plan d’architecte. Par un jeu de miroirs inclinés, le spectateur surplombe du regard l’ensemble des lieux, à condition d’être placé à l’orchestre ou tout au moins face à la scène. En hauteur et dans les loges de côté, le procédé perd malheureusement de sa lisibilité.
Réglé avec la même précision qu’en 2009, l’ensemble tient le même rythme, en parfaite correspondance avec l’agitation goguenarde d’une partition qui ne demande qu’à jubiler. Les portes – virtuelles – claquent avec le même entrain et l’esprit se réjouit autant que l’œil de cette multiplication de gags portés par une intrigue que le dispositif scénique a le bon goût d’alléger. L’habituelle succession de quiproquos, où de jeunes amants s’emploient selon leur habitude à duper un irascible barbon, pourraient sinon à la longue devenir pesante.
En 2009, l’interprétation musicale se plaçait au même niveau d’excellence que la mise en scène, faisant de ce spectacle le major inattendu d’une promotion qui comptait pourtant Le Comte Ory – mal – mis en scène par Lluis Pasqual et Zelmira – bien – interprétée par Juan-Diego Florez et Gregory Kunde. C’est hélas moins vrai cette année. La direction de José Miguel Pérez-Sierra, aussi consciencieuse soit-elle, ne peut se comparer avec celle de Claudio Scimone qui il y a deux ans imprimait un mouvement autrement enlevé à la partition de Rossini. Et de l’orchestre, on retient avant tout l’inventivité du piano forte, habile à animer les récitatifs et à illustrer avec esprit les situations.
Censée mener le bal, Hila Baggio en Giulia n’a ni l’abattage, ni le charme mutin d’Olga Peretyatko. Quelques suraigus, placés ça et là sans beaucoup d’à propos, ne rachètent pas une vocalise souvent sèche et un timbre grenu.
De même, Simone Alberghini ne possède ni la rondeur, ni la générosité de Carlo Lepore. Au point que l’on en commencerait à regretter l’ajout après le quartetto de l’air alternatif « Alle voci dell’amore », qui ne figure pas dans la partition d’origine (en raison probablement des limites vocales de l’interprète du rôle de Blansac). A tort. Le baryton bolognais prend alors la mesure infatuée de son personnage et se réalise vocalement à travers les nombreuses contorsions d’un numéro qui demande autant de virtuosité que d’expression. On arrêtera là les comparaisons.
La Lucilla de Josè Maria Lo Monaco vaut davantage par son jeu de scène, au bord de la crise de nerf, que par un chant épais à la ligne mal assurée.
Un peu dépassé l’année dernière par Libenskof du Viaggio a Reims (cf. notre compte-rendu), John Zuckerman n’a aucun mal à endosser le modeste costume de Dormont, le tuteur que l’on prend plaisir à berner.
Doté d’un physique aussi avantageux que d’une voix sonore qui trouve naturellement sa place dans les ensembles, Juan Francisco Gatell a l’aigu parcimonieux et l’intonation parfois nasillarde. Mais la voix possède suffisamment de souplesse et l’interprète de présence pour que son Dorvil soit en mesure de rafler la mise. Et l’on comprend sans mal la rumeur flatteuse qui accompagne ses premiers pas à Pesaro (cf. la brève du 10 août dernier).
A l’applaudimètre, le jeune ténor hispano-argentin se laisse cependant distancer par le Germano survitaminé de Paolo Bordogna. Déjà très à l’aise en 2009 dans un rôle dont il maîtrise parfaitement la syntaxe bouffe, le baryton a encore enrichi son interprétation de valet ahuri, au point de monopoliser l’attention mais aussi, vocalement, de parfois se laisser un peu trop aller. Qu’importe, c’est l’acteur avant le chanteur que saluent les applaudisseurs, visiblement satisfaits d’une soirée à laquelle on aurait finalement moins à reprocher si l’on n’avait entendu mieux deux années avant.