Commençons par féliciter l’Opéra de Tours d’avoir eu l’audace, en cette saison anniversaire de la mort de Massenet, de programmer Thaiï quand l’Opéra de Paris, qui devrait pourtant montrer l’exemple, se contente de proposer une Manon supplémentaire. Avec cette œuvre lyrique, le compositeur stéphanois, qui effectuait un retour inattendu au Palais Garnier (la création était initialement prévue à l’Opéra-Comique), se voit contraint d’adapter sa partition aux dimensions de la « grande Boutique » : un orchestre luxuriant, un ballet (initialement deux) et des chanteurs au format XL (et même XXL si on considère les contre-ré optionnels du rôle-titre qui transpercent par trois fois la portée).
La fortune sourit aux audacieux, dit-on mais tout cela ne fait-il pas un peu beaucoup pour l’Opéra de Tours ? Dans ce Grand Théâtre qui n’a de grand que le nom (1000 places soit presque deux fois moins que Garnier), Thaïs semble souvent un peu gênée aux entournures. L’orchestre, que l’on a entendu exemplaire dans un ouvrage aussi délicat que Faust (cf. notre compte-rendu), se heurte à une écriture à cheval sur deux écoles, entre une clarté toute française et des ambitions ouvertement wagnériennes. Dans ce cadre, on aimerait davantage de nuances et plus de transparence. C’est assez efficacement mais en usant de couleurs trop franches que Jean-Yves Ossonce brosse la partition sur la toile sonore.
Sur scène, les choses ne sont pas forcément plus fluides. Ainsi le chœur, qui ne présente un front véritablement uni qu’avec le chant des religieuses au dernier tableau ; ainsi le Palémon trop rigide de Jérôme Varnier ; ainsi la Crobyle de Catherine Dune et la Myrtale de Pauline Sabatier en équilibre instable sur leurs talons aiguilles ; ainsi l’Albine de Karine Motyka, mezzo-soprano prometteur mais ici comme surexposé ; ainsi la Charmeuse de Mélanie Boisvert dont les vocalises forment des angles droits ; ainsi Christophe Berry qui propose de Nicias un portrait figé quand on voudrait le jeune noceur ductile et brillant. Tous un peu raides même si bien disant (la justesse de la prononciation française sans exception reste le premier atout de cette distribution).
Didier Henry revêt avec plus de souplesse la bure d’Athanaël. Le feutre du timbre apparaît comme un signe de sagesse et, quand en butte aux climax de la partition, la voix se perd dans le grave, on se dit que ce moine préfère la prière au sermon : un contemplatif plus qu’un fou de Dieu.
La Thaïs de Sophie Marin-Degor s’avère davantage conforme à l’idée que l’on se fait de la courtisane égyptienne. Idéale de silhouette, elle sait galber la voix pour lui faire épouser les courbes qu’a dessinées amoureusement Massenet à l’intention de la créatrice du rôle, Sybil Sanderson. Son soprano, plus épanoui ici que dans notre souvenir, a conquis du terrain sur le medium, ce qui nous vaut un chant égal sur la longueur, moins versicolore qu’adepte du camaïeu, mais suffisamment habité pour emporter une partie qui n’était pas gagnée d’avance. Charge à chacun ensuite d’accepter ou non une Thaïs sans contre-notes alors que le disque, avant l’usage, a conditionné notre oreille… éternellement.
Nadine Duffaut n’a commis aucun crime de lèse-majesté en transposant l’intrigue dans un présent plus ou moins proche. Les cénobites pourraient faire la manche dans le métro et les invités de Nicias figurants dans The Party. Après tout, pourquoi pas ? Ce n’est cependant pas Blake Edwards mais Alfred Hitchcock que rappelle une Thaïs plus blonde que de raison dans une robe fourreau dorée, très Grace Kelly par l’allure et l’élégance. Une question au passage : faut-il prendre les deux seins que dévoile subrepticement au deuxième acte Sophie Marin-Degor pour un hommage à Sybil Sanderson (qui fit scandale lors de la création en dénudant « accidentellement » un bout de téton) ?
Des rectangles se chargent de rythmer l’espace en traçant horizontalement des pièces et verticalement une croix. Les projections de Arthur Colignon traduisent en images explicites la pensée des protagonistes. Pas de périssologie cependant ni d’exotisme de pacotille mais une sobriété de bon aloi, le tout habilement articulé, avec des figurants qui font vraiment de la figuration c’est-à-dire qui évoluent naturellement sans parasiter le spectacle. La chorégraphie d’Eric Belaud tombe à plat et l’éclairage trop marqué de Philippe Grosperrin accentue la géométrie du parti-pris scénique. Broutilles ! Pour ceux qui peuvent l’envisager, le déplacement à Avignon, où cette Thaïs sera reprise avec un autre plateau vocal, mérite considération.