Philippe Jaroussky achève à peine son deuxième morceau que nous nous surprenons à envier les spectateurs qui viennent de découvrir la star ou la connaissent depuis peu: ils ignorent le mélange de nostalgie et d’inquiétude qui nous accable et ne nous lâchera plus jusqu’à l’entracte. Certes, en une dizaine d’années, l’instrument a pris du corps, il a gagné en puissance sans rien perdre de sa fabuleuse souplesse et de cette aptitude à vocaliser qu’aucun contre-ténor avant lui ne possédait, sinon peut-être Derek Lee Ragin. Bien sûr, si les traits cinglants d’« Agitato da fiere tempeste » laissent entrevoir quelques tensions, l’air est aussi pris à froid et la prestation n’en est que plus impressionnante. En revanche, la voix accuse aussi quelques duretés, voire des aigreurs dans les passages de « Con l’ali di constanza » ou de « Venti turbini » (bis) qui gâchent notre plaisir. Il faut dire que la pureté de l’émission a longtemps été une des caractéristiques les plus frappantes du contre-ténor, une émission d’une aisance, d’un naturel si rares qu’elle ne semblait pas pouvoir appartenir à un falsettiste. Or, ces tensions, même fugaces, nous font craindre une usure précoce du timbre malmené par des emplois trop lourds, mais sans doute aussi par le rythme infernal auquel l’artiste conduit sa carrière. Il n’aime pas, il déteste être comparé à un ange, mais à force de vouloir casser cette image, Philippe Jaroussky pourrait bien se brûler les ailes, car il n’a pas toujours les moyens de ses ambitions ni de son tempérament. Orphée sait encore charmer (« Ho perso il caro bene », poignante déploration en do mineur originellement conçue pour Joad dans Athalia), l’émotion point même (section B) ; néanmoins, les soupirs d’Imeneo (« Se potessero i sospiri miei ») nous portent à croire que non seulement la voix a baissé *, mais aussi que l’aigu, souvent effleuré avec prudence, a perdu sa lumière et son ineffable douceur. Heureusement, le Freiburger Barockorchester livre beaucoup plus qu’un écrin de luxe et son très savoureux concerto grosso op 6/ 6 (dans sa version avec deux hautbois) nous ragaillardit.
Après la pause, l’aplomb de Sextus (« L’angue offeso mai riposa »), sa théâtralité exacerbée nous captivent d’emblée et commencent de dissiper nos alarmes. Cette performance nous rappelle que Jaroussky doit enregistrer le rôle aux côtés de son idole, Cecilia Bartoli, perspective o combien réjouissante, car l’adolescent fougueux a trouvé en lui un interprète d’élection comme nous le révélaient de mémorables concerts à Pleyel fin 2010. « Mi lusinga il dolce affetto » déroule des phrasés de rêve et le chant recouvre cette grâce qui nous avait ébloui et en même temps bouleversé lorsque nous l’avions entendu pour la première fois, l’été 2002, dans les Vêpres à la Vierge de Monteverdi. Les Fribourgeois enchaînent directement avec la sarabande d’Almira, dont ils polissent le moindre détail (mention particulière pour le splendide toucher de Sebastian Wienand au clavecin), mais si la transition est parfaite, elle frustre aussi une partie du public qui doit réprimer ses applaudissements. Les accents de Radamisto, percé jusques au fond du cœur (« Ombra cara »), pénètrent aussi le nôtre. Catharsis et soulagement : la voix a évolué, mais elle se plie toujours aux intentions du musicien, dont la générosité se révèle intacte et la sensibilité à fleur de lèvres. Nous avons à peine le temps de le réaliser que déjà Néron fulmine et décoche des traits d’une vélocité sidérante (« Come nube che fugge dal vento »)… The show must go on. Triomphe prévisible, standing ovation et bis assurés. « Alto Giove » débute sur une sublime messa di voce : pouvions-nous imaginer plus bel hommage à Farinelli, dédicataire de cette page envoûtante comme Jaroussky le précisait en l’introduisant ? Nouvelle standing ovation. Le contre-ténor nous explique ensuite que pour sa première création londonienne (Rinaldo), Händel disposait d’un violoniste et d’un bassoniste virtuoses. Eyal Streett rejoint Petra Müllejans, premier violon, pour se lancer dans l’acrobatique « Venti turbini », ultime épreuve qui ravive nos appréhensions tant elle érafle le métal délicat du chanteur. Une version enjôleuse et ornée d’« Ombra mai fu » n’ajoutera rien à sa gloire, mais prolonge la béatitude de l’assistance qui se précipitera, quelques instants plus tard, dans la librairie du Palais des Beaux-Arts pour acheter son dernier album et glaner un autographe. Fan de la première heure, nous ne sommes pas étonnés par l’immense popularité dont jouit Philippe Jaroussky, mais nous croisons les doigts pour que ce superbe musicien, sans conteste l’un des plus doués de sa génération, pose des choix qui lui permettent de nous enchanter longtemps encore.
* Nous l’avions du reste déjà observé dans L’ Incoronazione di Poppea donné à Pleyel la saison dernière, Nerone constituant désormais une partie trop élevée pour Jaroussky (cf. recension) |
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Récital Händel — Bruxelles (Bozar)
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Infos sur l’œuvre
Détails
Récital Georg Friedrich HÄNDEL
Philippe Jaroussky
contre-ténor
Freiburger Barockorchester
Direction musicale
Petra Müllejans
Riccardo Primo : ouverture
Oreste, aria : « Agitato da fiere tempeste »
Parnasso in festa, recitativo & aria : « Ho perso il caro bene »
Concerto grosso en sol mineur, op. 6/6, HWV 324
Imeneo, aria : « Se potessero i sospiri miei »
Ariodante, aria : « Con l’ali de Costanza »
Entracte
Giulio Cesare, aria : « Se l’angue offeso mai riposa »
Alcina, aria : « Mi lusinga il dolce affetto »
Almira : sarabande
Radamisto, aria : « Ombra cara »
Agrippina, aria : » Come nubbe che fugge dal vento »
Bozar, Bruxelles, mardi 6 décembre 2011, 20h
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Concerto grosso en sol mineur, op. 6/6, HWV 324
Imeneo, aria : « Se potessero i sospiri miei »
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Giulio Cesare, aria : « Se l’angue offeso mai riposa »
Alcina, aria : « Mi lusinga il dolce affetto »
Almira : sarabande
Radamisto, aria : « Ombra cara »
Agrippina, aria : » Come nubbe che fugge dal vento »
Bozar, Bruxelles, mardi 6 décembre 2011, 20h