Y a-t-il un concours entre l’Opéra de Paris et le Deutsche Oper de Berlin à celui qui gardera le plus longtemps sa mise en scène de référence des Noces de Figaro ? Trente-neuf ans pour Giorgio Strehler toujours au programme de Bastille, trente-quatre seulement pour Götz Friedrich actuellement au Deutsche Oper. Cette longévité n’est pas leur seul point commun. L’approche classique de l’œuvre en est assurément le secret.
Dans un décor très XVIIIe (tentures fanées aux murs, lustre à pampilles, sièges de style – un véritable tableau de Longhi – avec costumes à l’avenant), tout concourt à l’harmonie. La musique de Mozart délicatement interprétée par un Orchestre du Deutsche Oper Berlin dirigé d’une baguette à la fois vive et rapide par Friedemann Layer, confère à l’œuvre une noblesse que l’argument seul relèguerait au niveau d’une pièce de boulevard. Le travail de l’orchestre mérite d’être souligné en ce qu’il fait des merveilles pour soutenir ou accentuer les propos des chanteurs, pour relancer ou faire rebondir l’intrigue et pour alléger les moments de tension trop dramatiques, notamment celui du fameux septuor de la fin de l’acte II.
Cette interprétation enlevée laisse la part belle au chant et au jeu des acteurs. L’homogénéité de la distribution se retrouve tant dans la connivence des protagonistes pour jouer la comédie que dans la fraîcheur des voix qui s’entremêlent au cours des nombreux ensembles de l’opéra.
Le plateau, relativement bien équilibré, présente un Cherubino (Jana Kurucová) dont la ligne de chant remarquable fait apparaître un legato superbe. Délaissée dans un lit démesuré et regorgeant de satin, la comtesse (Mandy Fredrich) passe d’un « Porgi amor » déprimé et neurasthénique, à une combativité matrimoniale dont la verve et la générosité vocale n’ont d’égale que l’ampleur de son décolleté. Le Figaro de Marko Mimica est particulièrement convaincant tant le rôle est habité par ce chanteur au timbre riche dont la noirceur s’accentue au fil de l’œuvre. Son « non piu andrai » n’est ni académique ni pompier, il est juste moqueur et léger. Heidi Stober campe une Suzanna parfaitement adaptée au rôle, avec un jeu et une voix très maîtrisés, elle incarne parfaitement son état de servante, certes, mais aussi de confidente et de complice vis à vis de la comtesse.
Seul bémol dans cette distribution, le comte (Simon Pauly) dont la voix trop feutrée à la couleur trop pâle n’est pas à la hauteur de sa belle prestance et ne lui permet pas de rendre correctement toutes les facettes de son personnage : autorité, colère, lubricité, jalousie.
Il convient de noter les interprétations soignées des personnages secondaires – Peter Maus (Don Curzio), Stephen Bronk (Bartolo), Liane Keegan (Marcellina), Kathryn Lewek (Barbarina…) – dont les arias, rétablies par rapport aux versions généralement coupées, leur permettent de briller le temps d’une vocalise ou d’un effet.
La mascarade finale particulièrement embrouillée trouve naturellement sa place dans cette mise en scène classique de comédie à l’italienne où les protagonistes se croisent, se rencontrent, s’embrassent et s’épient sous les ombres portées des frondaisons en toiles peintes ou à l’abri des rocailles en carton-pâte. Ce jeu de substitutions d’identités successives est particulièrement difficile à rendre crédible dans des lectures plus contemporaines de l’œuvre.Cela n’encourage pas les directeurs de production à remettre sur le métier des choix artistiques qui ont fait leurs preuves. D’où certains records de longévité…