Lohengrin est de ces œuvres qui ne supportent pas un déséquilibre de distribution. Le travail de préparation qu’a réalisé en l’occurrence Gustav Kuhn pour cette 15e édition du festival d’Erl nous apparaît à cet égard, exemplaire. La remarquable unité d’ensemble atteinte fait penser à Glyndebourne, même si, ici, on ne pique-nique pas dans les prés. Chaque œuvre est en effet longuement travaillée au Convento dell’Angelo (province de Lucques) sous l’appellation Accademia di Montegral, où de jeunes – et moins jeunes – chanteurs approfondissent leur art.
Ferdinand von Bothmer (Lohengrin) est un jeune chanteur formé à la troupe du Volksoper de Vienne où il a interprété de nombreux rôles principaux dont ceux des opéras de Mozart. Depuis 2007, sa carrière internationale s’est développée, et il commence à aborder des rôles wagnériens. Son Lohengrin, de belle prestance et d’excellente tenue en scène, s’économise au 1er acte, mais arrive au 3e acte au mieux de sa forme pour aboutir à un magnifique récit du Graal et de très beaux adieux à Elsa ; sans jamais forcer ses moyens, il séduit par son naturel et sa musicalité. Susanne Geb est à ses côtés une magnifique Elsa, à la voix splendide aux riches harmoniques, touchante par sa grande retenue de jeu. Plutôt habituée du répertoire d’oratorio et des premiers rôles mozartiens, elle a abordé sagement, de petits rôles en petits rôles, le domaine wagnérien. Elle prouve tout au long de l’œuvre, et notamment avec un très bel « air d’Elsa », qu’elle en a toutes les qualités, et ne peut que s’y épanouir totalement. Mona Somm, plus spécialisée dans les rôles wagnériens, est une exceptionnelle Ortrud. Robe noire fendue sur des cuissardes rouges, gants fourreaux noirs, chignon noir, il ne manque que le fouet pour que ce soit « maîtresse Ortrud » ! Sa voix est splendide et puissante, à la projection magistrale ; d’une grande unité de style sur toute la longueur de la représentation, son jeu est bien sûr limite « virago », mais reste nuancé : on a là une des meilleures interprétations possibles de ce rôle, dont les imprécations finales atteignent rarement une telle violence. Les deux voix de femme vont particulièrement bien ensemble, comme d’ailleurs les autres voix, toutes fort bien assorties : le quintette de l’entrée d’Ortrud, notamment, est un modèle de musicalité. Thomas Gazheli (Friedrich von Telramund) est bien connu sur le plan international ; il forme avec Mona Somm le couple infernal idéal, et son interprétation brille par sa puissance théâtrale et musicale. Peut-être un peu plus verdienne que wagnérienne (entre Macbeth et Iago), son intelligence de la scène est ici parfaitement employée. Andrea Silvestrelli, à la carrière internationale bien diversifiée, assure fort bien le rôle d‘Henrich der Vogler, et le jeune Frederik Baldus campe un héraut particulièrement prometteur, alliant aisance scénique à grande qualité vocale. On retrouve en cygne Claudia Czyz, moins inspirée que dans Parsifal l’an dernier, et cette fois en tutu noir et collant rouge (lien sans doute avec la malédiction d’Ortrud ?). La mise en scène de Gustav Kuhn est simple mais affirmée et efficace, avec une bonne gestion scénique des masses chorales, et une bonne direction des acteurs.
Rarement une représentation présente une aussi belle unité, qualité vocale, jeu scénique, choristes et orchestre. La direction de Gustav Kuhn est en tous points remarquable, par sa maîtrise de l’équilibre des pupitres, ses tempi parfaitement maîtrisés, son respect des intentions du compositeur. L’orchestre en lui-même est formé d’excellents musiciens, avec une mention particulière pour les instruments à vent, et en particulier les cuivres. Les chœurs sont d’une rare qualité, et d’une présence à la fois discrète et expressive.