Premier des deux opéras composés par Mikhaïl Glinka, Une vie pour le Tsar connait dès sa création en 1826 à Saint-Pétersbourg, un immense succès auprès du public, qui vaut à son auteur d’être nommé chef de chœur de la Chapelle Impériale par le Tsar Nicolas premier. Baptisé initialement Ivan Soussanine, titre sous lequel il sera représenté pendant l’ère soviétique, cet ouvrage, généralement considéré comme le premier grand opéra russe, va influencer bon nombre de compositeurs au cours du dix-neuvième siècle, en particulier Moussorgski qui confiera également le rôle-titre de son Boris à une basse. C’est au retour d’un voyage en Europe que Glinka s’attelle à la composition de son chef-d’œuvre, véritable fresque historique, dont la partition s’inspire des chants populaires de son pays pour la musique, tandis que le traitement de la ligne vocale est largement influencé par le bel canto italien, en particulier Bellini et Donizetti que le musicien avait rencontrés lors de son séjour en Italie.
Le livret raconte l’épopée d’Ivan Soussanine, héros national, qui en 1613 avait sacrifié sa vie pour sauver celle du Tsar Mikhaïl Feodorovitch, fondateur de la dynastie des Romanov. Parallèlement, se joue une autre intrigue, celle du mariage d’Antonida, la fille se Soussanine, qui sera l’occasion d’une grande fête avec ballet au cours du troisième acte.
Pour défendre cette partition, le Festival de Montpellier a réuni une équipe de haut vol qui n’appelle – une fois n’est pas coutume – aucune réserve. Dmytro Popov dispose d’une voix lyrique solide qui culmine sur un aigu émis avec aisance et parvient à se plier aux diverses ornementations qui émaillent sa partie. Le ténor ukrainien incarne avec bonheur ce personnage de jeune soldat exalté, capable également d’élans de tendresse lors de ses duos avec Antonida.
Dans le rôle travesti de Vania, fils adoptif de Soussanine, Alisa Kolosova déploie un timbre cuivré, homogène sur toute la tessiture, au service d’une incarnation particulièrement touchante qui culmine dans sa grande scène en deux parties du début de l’acte quatre : l’air, empreint de mélancolie, bénéficie d’une ligne de chant finement nuancée et la cabalette avec chœur qui lui succède témoigne d’une technique sans faille qui vaut à la mezzo russe une belle ovation amplement méritée. Sans nul doute, un nom à suivre.
Albina Shagimuratova qui s’est déjà fait remarquer dans le rôle de La Reine de la nuit, notamment à Salzbourg en 2008 et plus récemment à la Scala, possède une voix ample et joliment timbrée, couronnée par un registre aigu brillant et facile. Son Antonida éblouit dès son air d’entrée par une maîtrise parfaite de la coloratura mais la soprano est également à même de susciter l’émotion comme en témoigne son intervention dépouillée au cours de l’épilogue, où le personnage déplore la mort de son père.
Moins extraverti que Boris Christoff, Gennady Bezzubenkov campe un Soussanine sobre et profondément humain. Son timbre de bronze aux graves abyssaux est impressionnant, en particulier dans son grand air du dernier acte en forme d’adieu à la vie et aux siens dont il livre une interprétation poignante, pour ne pas dire anthologique, saluée par une salve ininterrompue d’applaudissements pendant plusieurs minutes.
Il convient de souligner la performance des Chœurs de Radio France qui, sous la houlette de leurs deux coachs, ont accompli un travail d’autant plus remarquable que leur rôle dans cet ouvrage est prépondérant. Tour à tour gens du peuple ou soldats, ils constituent l’unique protagoniste du deuxième acte qui se déroule au palais du roi Sigismond en Pologne, où ils incarnent une assemblée de nobles arrogants qui festoient, convaincus de leur prochaine victoire sur les Russes.
En grand spécialiste de cette musique, Alexander Verdernikov défend cette partition luxuriante avec une fougue et un enthousiasme communicatifs qui tient la salle en haleine pendant près de trois heures.
Le concert est proposé à la réécoute sur le site de France-Musique jusqu’au 23 août 2012.
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