Aucune œuvre beethovénienne n’est sans doute aussi surhumaine que la Missa Solemnis, partition monumentale où le compositeur semble chercher à tutoyer Dieu et dans laquelle il a insufflé une énergie époustouflante ainsi que des moments de grâce infinie. Il faut un chef qui soulève des montagnes pour transmettre nerf et vigueur à ses interprètes sans que cela ne vire à la confusion. C’est peu dire que John Eliot Gardiner se montre à la hauteur du défi. On sort de ce concert laminé par tant de souffle et tant de perfection, devant un tel miracle d’équilibre, de cohésion, d’identification serait-on même tenté de dire, tant la partition semble avoir trouvé « son » interprète.
Gardiner arrive en effet par son dynamisme et la netteté du geste à offrir une lecture à la fois ébouriffante et d’une totale maîtrise de ses troupes : aucun débordement, aucun emballement (malgré des tempi infernaux), la précision est absolument époustouflante, quelques rares accrocs aux bois ou au violon solo (dans le « Sanctus ») n’empêchant pas de donner un sentiment de perfection à l’ensemble. L’Orchestre Révolutionnaire et Romantique se montre admirable de cohésion et d’une splendeur de couleurs que seules les formations sur instruments d’époque semblent pouvoir offrir aujourd’hui (quels cors, quelles trompettes, quel timbalier !).
Que dire du Monteverdi Choir sans tomber dans l’outrance ? On est bouche bée devant une telle perfection : beauté des voix, homogénéité ahurissante, parfaite lisibilité du contrepoint, endurance sans faille (notamment du côté des sopranos, mises à rude épreuve)… Inutile d’épiloguer sur une telle performance, les bras nous en tombent. L’un des plus beaux chœurs du monde, tout simplement.
Le quatuor de solistes, bien que n’affichant pas les noms prestigieux de la précédente interprétation de cette œuvre par Gardiner ici même il y a 10 ans (Luba Orgonasova, Nathalie Stutzmann, Christoph Prégardien et Alastair Miles), offre une performance remarquable, notamment un extraordinaire Matthew Rose et une Lucy Crowe qui assure crânement sa partie, qui plus est avec une réelle émotion. Même engagement chez la mezzo Daniela Lehner ou avec James Gilchrist, à la voix plus ingrate mais au chant saisissant.
Car si Gardiner sait donner du souffle à ses interprètes, il sait aussi le retenir : on est tétanisé d’émotion devant des pages comme le « Et incarnatus est », le « Crucifixus » ou le « Miserere » par exemple. Le chef d’opéra se fait alors sentir, ce qui n’est guère un contresens dans une partition proprement théâtrale qui célèbre tout autant Dieu que l’Homme : « Autant que la Divinité, elle célèbre l’homme, en ses triomphes et ses vicissitudes, ses détresses et ses joies » (Boucourechliev). Ce sont ces contrastes que Gardiner et ses troupes arrivent à célébrer, tout en donnant à l’ensemble une cohésion absolue, avec une monumentalité qui n’est jamais emphatique : la quadrature du cercle.
Version recommandée :
Beethoven: Missa Solemnis | Ludwig van Beethoven par Charlotte Margiono