Toutes les fées se sont penchées sur le berceau d’Elina Garanča : physique de star de cinéma, voix chaude, colorée, radieuse, belle comme le soleil. Et de lumière solaire, Dieu sait que nous manquons cruellement en ces mornes journées de janvier. D’ailleurs, le public, au mépris du danger, a ignoré l’annonce de chutes de pluie verglaçante pour remplir le Festspielhaus de Baden-Baden afin, sans doute, de pratiquer une héliothérapie revigorante. Bien lui en a pris, puisque la cantatrice s’est montrée parfaite, malgré le choix d’un programme pour le moins disparate et curieux, mais fort intelligemment composé et agréable à entendre.
Très aristocratique dans une robe à plissé soleil de couleur bleu dur adouci par une blondeur délicate, les cheveux libres, la mezzo-soprano impressionne d’entrée de jeu avec le grand air de Jeanne de la Pucelle d’Orléans, empreint d’une émotion certaine qui perle derrière l’autorité, la puissance sonore et le contrôle d’une technique sûre. Après le répertoire slave, la Lettone ose le français, qu’elle avoue volontiers aimer tout particulièrement. Sa diction est remarquable et son personnage de Dalila fatal : comment ne pas répondre à sa prière et croire fermement à son « Samson, je t’aime ! » ? Très discrètement, la belle vient de nous faire une leçon de théâtre : on sait qu’elle a failli être comédienne. Tout est apparente facilité ; certes, Elina Garanča s’économise dans les aigus qu’elle dispense avec parcimonie, mais quelles nuances raffinées dans les médiums et les graves ! Voix et apparence fonctionnent en binôme parfait. C’est avec Carmen (et une nouvelle robe après la pause, d’un bleu pétrole moiré surmonté d’une coiffure plus structurée) que le talent de la comédienne irradie : la « Séguedille » est donnée bras croisés, avec une économie dans la gestuelle qui évoque immanquablement Maria Callas reprenant le geste auguste d’Audrey Hepburn, bras gracieusement lové dans le creux de l’épaule. Un grand naturel se dégage de la prestation où la moindre œillade fait mouche.
Son partenaire coréen, Ho-Yoon Chung, n’est pas aussi à l’aise avec le français. Son interprétation du rôle de Don José fait davantage penser aux films extrême-orientaux de genre qu’à Placido Domingo, ce qui n’est pas sans laisser le public perplexe, étonnamment calme au terme du finale de Carmen. Si son rapport à la langue de Molière est à peaufiner, le ténor ne laisse pas de surprendre quand il s’essaie à l’italien. Le « Lamento » de Federico dans l’Arlésienne de Cilea est admirable : diction parfaite, richesse des nuances et originalité de l’interprétation, inattendue tout en forçant l’attention. L’homme en devient physiquement plus rital que nature, c’en est ahurissant. Quand vient le duo des Capuleti e I Montecchi, les deux partenaires s’accordent à merveille, même si le rythme peut être, pour les fondus de Bellini, bien trop rapide – mais tout est toujours trop rapide pour un amoureux de Bellini.
D’autant que l’orchestre est dirigé avec fougue par Karel Mark Chichon, dont on se dit qu’il est pressé de rentrer chez lui dès l’ouverture de Rouslan et Ludmila… Impression trompeuse, car dès qu’apparaissent les chanteurs, le rythme se ralentit et le chef se met à leur écoute, avant tout soucieux, semble-t-il, de valoriser sa lumineuse épouse. Pour initier la seconde partie, l’ensemble sarrois propose trois célèbres paso doble kitsch à souhait. Tout cela lorgne du côté d’André Rieu ou plutôt des Lustige Musikanten, ces « musiciens joyeux » que connaissent tous les Allemands qui ont un jour allumé un poste de télévision un samedi soir. On sent le clin d’œil car ces paso doble, de caricaturaux et maniérés, deviennent de plus en plus visuels et suggèrent le sable chaud et l’arène, immanquablement. Juste transition avant Carmen, comme le sont les multiples ponts de ce programme pour le moins bigarré. Trois rappels gratifient un public de plus en plus enthousiaste, y compris l’inusable « Non ti scordar di me », accolé à la mémoire de Mario Lanza. Est-ce pour annoncer l’arrivée de Joseph Calleja sur cette même scène début février ? Pour finir enfin, le « Brindisi » de la Traviata nous invite à aller manger et boire. Belle idée ! Sauf que dehors, il pleut et cela brille… Normal, après tout ce soleil.