Liège est, parait-il, la plus italienne des villes belges, par son tempérament et par sa saison lyrique résolument transalpine. Puccini, Mascagni, Rossini et bien sûr Verdi, en cette année de commémoration, y ont plus facilement leurs entrées que les compositeurs du nord des Alpes. Grétry et Franck, les deux enfants du pays, font exception à cette inclination latine. C’est d’ailleurs un opéra de ce dernier, Stradella, qui a été choisi pour inaugurer en septembre dernier le Théâtre royal entièrement remis à neuf après trois années de travaux.
Dans cette salle de dimension raisonnable (un millier de places), L’italiana in Algeri, représentée du 18 au 26 janvier, trouve un cadre idéalement adapté à ses dimensions. Améliorée, l’acoustique garantit une juste répartition sonore entre fosse et plateau, à laquelle Bruno Campanella apporte un surcroît d’équilibre. Le chef d’orchestre interrompt les applaudissements à l’issue de l’ouverture pour inviter le public à encourager comme il se doit un orchestre merveilleux (sic). Il est vrai que l’intransigeance rythmique de l’écriture rossinienne ne semble pas une contrainte pour les forces de l’Opéra Royal de Wallonie – musiciens mais aussi choristes – tant elle est ici maîtrisée. S’il fallait placer des bémols sur une interprétation somme toute louangeuse, ils porteraient davantage sur certaines sonorités (les vents) et sur une fantaisie qui demanderait à s’exprimer encore plus pour restituer à l’ouvrage cette folie qui confine à l’absurde dans le finale du 1er acte.
Lâcher la bride sans dérégler le mécanisme complexe de l’œuvre, tel est aussi le paradoxe que doit résoudre la mise en scène. Emilio Sagi, dont on a pu apprécier par ailleurs l’humour et la créativité, semble avoir été intimidé par l’imagination dont fait preuve Rossini à 21 ans dans ce qui est tout de même son onzième opéra. D’amples rideaux servent à dessiner les différents lieux de l’action. Les couleurs sont un autre élément, plus esthétisant que signifiant, du dispositif scénique. Les costumes, nombreux et luxueux, parachèvent une lecture qui suit à la trace le livret sans parvenir à prendre le recul nécessaire pour en exprimer l’ironie jubilatoire.
Charge aux chanteurs de faire assaut de comédie pour insuffler au dramma giocoso toute la loufoquerie qu’il porte en germe. A ce jeu, on peut compter sur Carlo Lepore, dût la dimension héroïque de Mustafa en souffrir. Plus Papatacci que grand bey, le chanteur italien a étrenné son Rossini sur les bancs de Pesaro et maîtrise la syntaxe autant que le vocabulaire d’un chant dont on connaît l’exigence. Daniele Zanfardino a aussi fait ses classes sur les rives de l’Adriatique (Libenskof en 2003 dans Il Viaggio a Reims que propose chaque année l’Accademia rossiniana). L’extrême virtuosité requise pour vocaliser sur les cimes de la portée accapare aujourd’hui l’attention du ténor, au détriment parfois de la grâce que réclame aussi le personnage de Lindoro. Mario Cassi est plus que la basse bouffe dont Taddeo saurait se contenter. Lui aussi, connaît bien son Rossini mais le grain de la voix et l’allure en font un prétendant d’Isabella moins ridicule que de coutume. Appelée à la dernière minute pour remplacer Marianna Pizzolato souffrante, Enkeledja Shkosa est l’exception à l’italianité qui, Emilio Sagi excepté, semble avoir présidé à la réalisation du spectacle. De fait, l’opulence de la voix – une impression de velours épais ou, au choix, de nectar capiteux – apparaît plus slave que latine. Là où d’autres recherchent l’unité du son sur toute la longueur, la mezzo-soprano use sans en abuser de registres dissociées. Un tel choix n’est pas sans conséquence sur l’impact du chant mais il n’en amoindrit pas l’agilité. Surtout il est gage d’un « Per lui che adoro » torride qui prouve qu’il n’est pas forcément besoin d’être italienne pour composer une Isabella affriolante.
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