Poursuivant sa tournée d’hommage à Mario Lanza (voir la recension de Jean-Marcel Humbert), Joseph Calleja se présente à Baden-Baden avec un programme quasi-similaire à celui proposé à Paris. Aucune annonce ne précède sa venue, mais on se prend à s’interroger sur sa forme physique : est-il vraiment au sommet de ses moyens ? Est-ce sa façon de s’éclaircir la gorge ou est-il légèrement souffrant ? Cela dit, d’emblée, on est frappé par la puissance de la voix et le timbre très particulier qui évoque immanquablement celui de Pavarotti. À peine le sent-on légèrement voilé ou sombre en comparaison. Mais si le rayonnement, la sonorité et l’ampleur sont présents, le miel et surtout la générosité du Tenorissimo font étrangement défaut. Le maltais aborde la note sans faillir, avec précision et longue tenue, mais la chute est brutale. Comme un robinet fermé sèchement, le flot apparemment intarissable s’arrête net, non sans frustration pour l’auditeur tout surpris de se retrouver ainsi à sec…
S’il est parfaitement à l’aise avec l’italien (y compris les intonations napolitaines de « A Vucchella »), le ténor prononce le français avec un accent très marqué qui dessert Massenet davantage que Bizet, le « souffle du printemps », entre autres, à peine articulé. Reste un petit miracle d’émotion concentrée sur une note finale qui meurt et se délite avec une infinie nostalgie, digne du romantisme de Werther. Ah, si l’ensemble du récital avait pu être de la même eau ! Quand l’inquiétude de l’adieu à la mère dans la Cavalleria est palpable, qu’une certaine nostalgie se dégage du « Lucevan le stelle », il n’en reste pas moins que l’ensemble des airs s’égrène trop vite. La « Donna e mobile » est ainsi expédiée en coup de vent, la plume chassée avant même d’avoir pu l’apprécier au vol. Et au terme du récital, on a l’impression que Joseph Calleja a finalement très peu chanté, coincé entre les ouvertures et autres méditations (de Thaïs, en l’occurrence) d’un orchestre sonore et un peu encombrant, surtout les cuivres. Tout cela est bien pratique, puisque si le chanteur est défaillant, on peut toujours proposer en rattrapage le programme symphonique d’où ressort une harpiste très en forme. Le vérisme constitue le point fort de la formation et là encore, c’est le cœur du programme.
Mario Lanza – dont l’ombre plane puisque c’est à lui qu’on rend hommage, tout de même – semblait chanter chaque note comme si c’était la dernière et y mettait tout son cœur. Joseph Calleja, en revanche, s’économise ; tant mieux pour sa voix qui n’en durera que plus longtemps. Mais le spectateur est égoïste : il veut la soirée d’une vie, à chaque fois. Ici, seule une prestation de bonne qualité est offerte, sans panache particulier. Malgré tout, Joseph Calleja est un grand : on le comparera volontiers aussi bien à Pavarotti qu’à Lanza. Il faut seulement espérer tomber sur le bon soir (déjà vécu, entre parenthèses, et notamment à Strasbourg où le tout jeune ténor, quasi inconnu et amoureux, incarnait un Alfredo mémorable dans une Traviata inoubliable…). Le public de Baden-Baden l’a vécu aussi, ce grand soir, apparemment : il a salué le ténor débout, dans une longue ovation, au terme d’une reprise de « Lucevan le stelle » frémissante et conclue par une note éclatante. Décidément, il peut, quand il veut !