Dans cette récente production de Lohengrin au Deutsche Oper, avec Waltraud Meier à l’affiche afin de contribuer superbement au panache des célébrations du bicentenaire de la naissance du compositeur, la mise en scène de Kaspar Holten, à vouloir être trop consensuelle, est plate et insipide. Elle se borne à créer un climat inquiétant, notamment par des éclairages brusques ou aveuglants, plutôt que de se charger de signifiant. Les décors tantôt décalés, tantôt inutilement sophistiqués de Steffen Aarfing ne s’accordent pas vraiment avec son choix des costumes militaires toutes époques pour le chœur qui vise, semble-t-il, à transcender la temporalité de l’épopée à travers les âges. C’est ainsi que Lohengrin, interprété par Michael Weinius dans cette reprise, se retrouve boudiné dans une robe de bure et affublé d’ailes d’ange qui le font ressembler plus à une drag-queen échappée d’une gay-pride (le maquillage en moins) qu’à un moine-chevalier du moyen-âge. Heureusement son chant éthéré, souvent en demi-teinte comme il se doit, confère au personnage une aura divine qui nous fait oublier le ridicule de son accoutrement et ses déplacements patauds au milieu d’un chœur trop souvent figé en groupes parfaitement symétriques. Pour la mise en espace d’une chorale on aurait difficilement fait mieux !
C’est donc entre ce chœur – nombreux, ordonné, omniprésent et particulièrement percutant – et l’orchestre dirigé avec force et conviction par Donald Runnicles que les solistes doivent se faire entendre. Chacun, à sa façon, y parvient. Albert Pesendorfer, dans le rôle d’Henri l’oiseleur, impose à son personnage une majesté de circonstance par une émission ronde et sonore sans jamais forcer ses effets. Les interventions plus solennelles de son héraut (Bastiaan Everink) font ressortir l’intensité du drame qui se joue en ponctuant l’opéra de ses annonces tonitruantes soulignées avec fracas par l’orchestre. Gordon Hawkins, Friedrich von Telramund qu’on a pu croire un instant affligé d’un vibrato un peu lâche, se révèle par la suite plein de précision et de chaleur dans sa diction.
Manuela Uhl campe une Elsa tantôt hallucinée lorsqu’elle attend la venue de son sauveur, tantôt immature lorsqu’il s’agit d’assouvir une curiosité attisée par les doutes qu’instille Ortrud dans son esprit, mais toujours d’une voix claire et effilée dans les aigus qu’elle lance avec générosité. La palme de la soirée revient sans nul doute à Waltraud Meier qui incarne une Ortrud diabolique et monstrueuse. Son jeu très expressif, l’acidité de son timbre et l’amplitude sonore impressionnante qu’elle déploie en font une interprète idéale. On peut seulement déplorer un manque de véhémence dans les attaques de ses imprécations les plus emportées telle que « Fahr’heim, far’heim, du stolzer Helde » pour être en parfaite harmonie avec l’agressivité dont l’orchestre fait montre dans ces moments de tension intense. A cet égard on se remémore avec délice le flot de décibels que Gwyneth Jones déversait sur son public lors de ses dernières interprétations du rôle.
L’orchestre du Deutsche Oper dévoile quant à lui des trésors d’ingéniosité pour rendre la partition toujours plus brillante. Les interventions des cuivres prennent des allures martiales en étant disséminées, outre la fosse, en six endroits différents dans la salle et derrière la scène. Avec Donald Runnicles à la tête de cette formation rôdée au répertoire wagnérien la soirée atteint des sommets d’émotion rarement égalés.
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