Après La Walkyrie et Siegfried en début de saison, nous découvrons cette dernière journée du cycle – pompeusement intitulé « Ring du XXIe siècle » – sur la scène du Staatsoper de Berlin, à ceci près que l’inspiration scénique s’essouffle. Fort heureusement la direction orchestrale de Daniel Barenboim reste lumineuse, détaillée et puissante, même si il lui arrive parfois, par égard pour des chanteurs sous dimensionnés, de refréner les pulsations de l’orchestre, dans le trio de la vengeance notamment. Les grandes pages orchestrales du troisième acte sont menées avec brio et font montre d’un talent sans faille. L’Orchestre de la Staatskapelle Berlin, comme le chef, reçoivent du public un hommage long et mérité.
Dans ce dernier volet du cycle, Guy Cassiers confirme la faiblesse de son propos dramatique, déjà pressentie dans Siegfried, et l’absence de véritable narration. L’ensemble est très statique, les tableaux s’enchaînent sans liant devant un fond de scène vaguement animé par les créations vidéo d’Arjen Klerkx et de Kurt d’Haeseleer. Les projections, désormais omniprésentes, se bornent à diffuser des images floues dont on peine à distinguer le sujet mais qui participent en revanche à créer une atmosphère crépusculaire en harmonie avec la monotonie grise des costumes signés Tim van Steenbergen.
Vocalement, le climat de tension extrême et l’ambiance inquiétante si présents dans cette œuvre sont portés presque exclusivement par Irène Theorin qui campe une Brunnhilde généreuse et offerte. Ses aigus projetés avec force et vigueur accentuent le déséquilibre notable de la distribution. Le Siegfried de Ian Storey, en effet, correspond à tout sauf à ce que l’on attend du rôle. La voix déjà mûre se pare de couleurs sombres qui lui font perdre toute ingénuité, la diction calme et posée l’installe dans une interprétation feutrée très inhabituelle. Mikhail Petrenko n’incarne pas davantage un Hagen crédible. Si ses manigances avec Gunther et Gutrune au premier acte sont correctement rendues par une interprétation très appuyée, il en va tout autrement de son appel aux vassaux et de ses confrontations avec Brunnhilde et Siegfried. L’interprétation n’a ni la noirceur nécessaire, ni la force suffisante pour refléter la complexité malfaisante du rôle. Gerd Grochowski, par une interprétation brillante au premier acte, renouvelle l’intérêt du rôle de Gunther mais ne tient malheureusement pas la durée. Les formats vocaux surdimensionnés des seconds rôles féminins (Gutrune, Waltraute, filles du Rhin et Nornes) ont pour effet de mettre encore plus en avant les faiblesses de la distribution masculine. Musicalement impressionnants, les choristes sont scéniquement sous employés. Placés sur des gradins, ils ont au moins l’avantage de pouvoir disparaître discrètement en même temps que le décor, nous épargnant ainsi des piétinements bruyants et inutiles.
Un plateau aussi déséquilibré est un fait suffisamment inhabituel sur les scènes Berlinoises pour être souligné. L’explication réside peut-être dans une pénurie de chanteurs wagnériens en cette année de quadruple jubilé qui voit fleurir des Tétralogies aux quatre coins de la planète.