La Tosca que donne l’opéra de Lausanne (en coproduction avec les opéras de Tenerife, Valladolid et Pampelune) fait partie de ces productions dont la critique n’est pas aisée. Que dire, en effet, d’un spectacle dont on peine à pointer des défauts véritables, mais qui n’emporte à aucun moment notre adhésion ? C’est peut-être dans ce manque d’enthousiasme que le propos est à chercher : le spectacle souffre d’une grave absence de qualités particulières.
La partition défile donc, sous la baguette peu inspirée de Robert Rizzi Brignoli aux commandes d’un orchestre de chambre de Lausanne qui ne trouve pas les couleurs et les textures puciniennes. Le chef peine, en outre, à établir un équilibre satisfaisant avec les chanteurs, lesquels se retrouvent souvent couverts par les instruments. Un problème récurrent, par exemple, avec le Spoletta d’André Gass, qui ne passe la fosse que par intermittences.
Vocalement, parmi les rôles principaux, le Caravadossi de Giancarlo Monsalve est le plus problématique : la voix apparaît fatiguée, presque éraillée par moments, le timbre n’a rien de brillant ou de solaire, et chaque note semble relever de la gageure. On peine ainsi à être charmé par un exercice si explicitement laborieux. Les choses vont un peu mieux pour Giorgio Surian, qui apparaît plutôt à son aise dans Scarpia. Malheureusement, il faudrait plus qu’un honnête baryton pour créer la figure terrifiante du tyran : une gamme de nuances habilitées à rendre autant la domination absolue que la séduction perverse, une plénitude autoritaire dans le timbre, des qualités qui font défaut dans cette interprétation quelque peu monochrome du personnage. Remplaçant la titulaire malade au pied levé, Annalisa Raspagliosi était la bonne surprise de la soirée. La soprano romaine construit une Tosca crédible, dont les aigus un peu serrés ne ternissent pas les beautés multiples d’un instrument qui sait convaincre.
La transposition de Giancarlo del Monaco dans la Rome nazie de 1943 fonctionne, en soi, parfaitement. Les costumes sont réussis et l’arrivée des nazis ne manque pas de produire son effet. L’église du premier acte est d’un géométrisme assez esthétique, tandis que l’organisation du plateau est assez bien pensée. Mais tout cela n’a que peu de sens si le jeu d’acteur ne parvient à aucun moment à faire exister des personnages : Scarpia a l’air d’un grand et vieux garçon maladroit, Cavaradossi n’est rapidement plus qu’un tas de lambeaux sanguinolents, et Tosca joue sa tragédienne comme dans un biopic sur la Callas. On s’approche davantage, malheureusement, d’une mauvaise reconstitution télévisuelle que de la tragédie terrifiante qu’on est en droit d’attendre : le spectateur reste en dehors. Un spectateur qui assiste à une production correcte, mais passablement acratopège… certaines œuvres le souffrent ; Tosca, non.