Avec I Capuleti e I Montecchi, d’après l’histoire de Roméo et Juliette, Vincenzo Bellini ne célèbre pas tant l’amour que la voix. Le destin tragique des amants de Vérone n’est qu’un prétexte à magnifier le bel canto, dont cet opéra, créé en 1830 à Venise, représente sans doute le crépuscule, le coucher de soleil éblouissant d’une école corrodée par la recherche de vérité dramatique. Nadine Duffaut ne dit rien d’autre lorsqu’elle écrit dans sa note d’intention : « Mieux vaut se taire et laisser la partition parler ». De fait, sa mise en scène, à l’affiche de l’Opéra de Reims après Tours et Avignon, ne cherche pas midi à quatorze heures. En séparant le plateau en deux au moyen d’un rideau opaque ou transparent selon l’éclairage, elle règle le problème du mouvement des chœurs, cantonnés à l’arrière-scène, et place les protagonistes sous le feu des projecteurs. De contraignant et d’archaïque, avec ses costumes et ses attitudes d’un autre âge, le dispositif se révèle finalement efficace car il donne la primeur à ce qui importe seul : le chant.
Et tant mieux car le chant, justement, est à l’honneur de ces représentations rémoises. Rossinienne émérite, Jessica Pratt dispose de la technique nécessaire pour rendre justice au rôle de Juliette qui, confiée à une voix moins experte, pourrait sembler insipide. Le timbre est d’argent, les reprises sont ornées de multiples effets dont la qualité tient aussi à la variété. Confiance aidant, le suraigu, précis, vient éclairer les cadences. Les sons filés, augmentés, diminués représentent autant d’éléments de grammaire qui ne seraient rien, s’ils n’étaient placés au service de l’expression. La pureté de ligne finit de couronner d’un diadème virginal cette Juliette d’exception.
A son exemple, le Roméo de Julie Boulianne suit au plus près la ligne tracée par Bellini, sur toute la longueur, sans forcer le trait. La syntaxe est moins recherchée mais le style prévaut, l’ornementation est de rigueur, la vaillance au rendez-vous.
Troisième larron de l’affaire, Florian Laconi en Tebaldo contient autant que possible un tempérament naturellement généreux. L’émission, que l’on a pu trouver parfois trop franche, est ici disciplinée avec pour résultat un charme qui pose le partisan des Capulet en véritable rival de Romeo. L’héroïsme reste cependant de mise dans les passages plus martiaux avec, comme ses partenaires les prises de risque nécessaires au frisson que l’on ressent à plusieurs reprises.
Ugo Guagliardo en Capellio et Eric Martin-Bonnet en Lorenzo sont des comprimarii de luxe, le premier surtout qui, familier de ce répertoire, a chanté Assur (Semiramide) à Rome et Lord Sidney (Il Viaggio a Reims) à Pesaro.
Luciano Acocella tire le maximum du chœur et de l’orchestre dont on oublie trop souvent qu’il est plus qu’un faire-valoir. Arpèges et rythmes binaires ne doivent pas éclipser les quelques solos instrumentaux, périlleux comme on a pu le constater au cours de la représentation, qui sont dans l’opéra de Bellini, la seule dérogation au diktat du chant.