Un bonheur n’arrive jamais seul, dit le proverbe. A la satisfaction de voir que La Clemenza di Tito, qui n’est pas l’opéra de Mozart le plus connu, attire à Marseille un public nombreux s’ajoute celle d’assister, pour la dernière étape de la coproduction, à une reprise où un spectacle trouvé naguère peu convaincant à Toulouse acquiert ici un supplément de vie bienvenu. La mise en scène de David Mc Vicar a-t-elle été revue, pour ce qui est de la direction d’acteur ? Ou est-ce l’effet d’une autre distribution ? Les relations entre les personnages ont gagné en apparente conviction. Même les évolutions martiales de la garde prétorienne semblent moins insupportables, quoique son omniprésence auprès de Tito manque toujours autant de pertinence puisqu’elle annule la distinction avant/après l’attentat.
Dans le rôle-titre, un ténor primé à Toulouse en 2008, Paolo Fanale. De taille moyenne il n’a pas le physique imposant de certains Titus mais cette « normalité » s’accorde bien à l’humanité de ce puissant donnée en exemple jadis au souverain destinataire de l’œuvre et aujourd’hui à tous les spectateurs de bonne volonté. Vocalement, son timbre a suffisamment de poids pour rendre sensible le trouble d’un personnage écartelé entre les devoirs de son statut, ses sentiments et ses choix éthiques. Les quelques agilités requises sont exécutées sans virtuosité particulière, mais assez proprement. Les autres interprètes ont en commun avec lui un engagement scénique qui rend crédible l’authenticité de leurs effusions, pour ceux qui en expriment. Joseph Wagner est ici contraint d’incarner un Publius-Rambo privé des rares nuances possibles. En revanche l’Annio de Christine Tocci et la Servillia de Clémence Barrabé frémissent comme des cordes tendues. Cette émotivité est bien celle des personnages, dans leur jeunesse ou timorée ou spontanée, et les chanteuses l’expriment avec une justesse délectable. Même interprétation à fleur de peau pour Kate Aldrich, qui donne ainsi une présence émouvante à Sesto, et fait oublier par son incarnation vocale et scénique de haut vol à quel point ce personnage irrésolu manque de cohérence et d’épaisseur. Vitellia enfin, le rôle le plus exigeant par l’amplitude vocale qu’il requiert, trouve en Teresa Romano une interprète valeureuse si l’on se borne à considérer sa prestation du point de vue de l’engagement, mais à qui on serait tenté de dire qu’elle prend peut-être des risques excessifs. En effet si ses graves sont beaux, ne sonnent pas artificiels, comme chez tant de sopranos, la partie la plus aiguë du rôle la voit contrainte, même brièvement, à des vociférations douloureuses. Et comme en dépit d’un tempérament dramatique indubitable (mais non indiscutable) elle n’a pas l’allure de cette hautaine princesse, elle ferait probablement bien de renoncer à ce rôle.
Rien à redire en revanche aux prestations du chœur et de l’orchestre, ce dernier très appliqué et hélas dépourvu du cor de basset prescrit. Mark Shanahan semble avoir opté pour la prudence en évitant tout écart rythmique et en observant de micro-poses qui paradoxalement soulignent des effets dramatiques mais infléchissent la progression d’ensemble, donnant à l’exécution la lenteur souvent reprochée à l’opéra seria. La discrétion du continuo au clavecin pour les récitatifs secs confine même à la rétention. Choix esthétique ? Parti pris pragmatique ? Cette exécution sans prise de risque ne déçoit pas mais n’exalte pas. C’est un peu dommage pour une œuvre chargée d’appeler à se dépasser.