Tout comme ce mois de mai peine à nous réchauffer, le printemps de Violetta a la saveur de l’hiver et elle n’y survit pas. A Nantes, la solitude de Traviata éclate dans un monde de faux semblants, « ce désert nommé Paris » que la metteur en scène Emmanuelle Bastet évoque magnifiquement. D’immenses miroirs noirs enferment et magnifient l’espace du plateau où l’âme écartelée de l’héroïne se reflète et se disloque à l’infini. Habillée de rose, notre Dame aux camélias est la seule touche de couleur au milieu d’une foule extravagante – superbes costumes modernes de Véronique Seymat – mais monochrome, toute d’or et d’argent. Elle est ainsi profondément vivante dans un univers corseté par l’apparence et les conventions. Les teintes de sa robe se fanent au fil du récit tandis que le noir envahit le plateau et qu’elle s’étiole. Une image pour symboliser son évolution : l’immense placard rempli d’escarpins vertigineux qu’elle ouvre au premier acte avec volupté puis avec brutalité au troisième soulignant par ce geste simple le basculement de l’héroïne, de la femme légère pour qui « shoes are a girl best friend », à la femme avilie et dominée. Les fleurs sont l’autre symbole qui accompagne la fin de Violetta : fleur unique, métonymie de l’héroïne, offerte à Alfredo au début de l’ouvrage, elle devient roseraie, claustra à l’acte deux, abritant d’abord les amours heureuses du couple avant de se changer en roncier lorsque le père d’Alfredo pourrit ce paradis de relents de culpabilité. A l’acte trois, belle métaphore de la rédemption par le sacrifice, les guirlandes de roses s’envolent jusqu’aux cintres. La dramaturgie de cette production est donc une réussite, à vrai dire, la plus belle version qu’il nous ait été donné de voir. Les images y sont à la fois puissantes et limpides ; d’aucun les trouveront peut-être trop appuyées, mais leur beauté et leur poésie emportent l’adhésion.
Musicalement, le spectacle appelle plus de réserves. L’orchestre de Roberto Rizzi Brignoli présente quelques regrettables faiblesses : le tempo est allant, l’énergie excellente par moment, mais les décalages sont récurrents, au point de provoquer des coups d’œils angoissés depuis le plateau. Surtout, les vents, les cordes, présentent quelques égarements dommageables. Idem pour le Chœur qui communique une belle énergie d’ensemble mais s’oublie dans l’air du Veau gras.
Quel dommage aussi qu’en cette soirée de première, l’interprète du rôle principal soit par instant comme paralysée. L’aisance vocale n’est pas en cause. Malgré une tendance à chanter trop haut, Mirella Bunoaica se joue avec grâce des difficultés de la partition dans ces trois parties pourtant si contrastées. Mais pourquoi faut-il que sa présence scénique soit erratique ? la plupart du temps très engagée physiquement, prenante émotionnellement, la jeune chanteuse s’absente par instant sans que l’on comprenne la raison de cette étrange froideur. Les moments les plus intenses sont ceux des duos avec le formidable Alfredo d’Edgaras Montvidas. Le ténor lituanien est un habitué de ce rôle depuis ses débuts. Il lui offre un chant viril qui n’exclut pas les nuances et une sensibilité scénique qui fait mouche dès qu’il s’approche de Violetta. L’alchimie physique et vocale entre les deux interprètes est proprement épatante. Il faut voir notre Dame aux camélias lui ôter sa chemise pour s’en draper. L’érotisme et le naturel de la scène font alors monter la température de la salle de quelques degrés. Face à ce couple embrasé, le père de Germont est superbement incarné par Tassis Christoyannis : technique sans faille, voix chaude et interprétation sensible qui nous rendrait le personnage presque attachant tant il semble accablé de compassion. Par comparaison, les seconds rôles paraissent un peu sages. Annina (Cecile Galois) ou le baron Duphol (Laurent Alvaro) tiennent leur partie fort proprement mais sans dépasser la convention. Mention spéciale toutefois pour l’extravagante Flora Bervoix de Leah-Marian Jones qui assume avec audace une robe vertigineuse et chante avec le même panache.
Prochaines représentations :
- Nantes / Théâtre Graslin : Dimanche 2 juin 14h30, Mercredi 5 juin 20h
- Angers / Le Quai : Dimanche 16 14h30 et Mardi 18 juin 20h