« Après 12 ans, ça fait plaisir de revenir ! » s’exclame José Cura, son concert Salle Pleyel à peine commencé. Il est vrai que le ténor avait disparu des radars parisiens depuis un certain temps, lui qui fut la coqueluche des années Gall, l’équivalent en son temps – dans une certaine mesure – de Jonas Kaufmann, ne serait-ce que par le physique avantageux et la couleur sombre de la voix. C’est davantage Placido Domingo qu’il rappelle ce soir lorsqu’il attaque, dans la foulée du prologue de Paillasse, l’air de Tonio. Notre ténor, à l’exemple de son illustre aîné, serait-il devenu baryton ? Non, simple clin d’œil, José Cura a l’humeur badine. « J’arrondis le cachet » explique-t-il après avoir rangé dans un coin de la scène le pupitre que l’équipe technique avait oublié d’enlever durant l’entracte.
Qu’a-t-il fait ses douze années durant celui qui fut le Don José, le Samson de sa génération ? Il a chanté à droite, à gauche mais pas en France, où exception faite de Nancy, il n’a pas été invité depuis 2001. Il s’est beaucoup consacré à la direction d’orchestre, son péché mignon, à la mise en scène qu’il veut dorénavant privilégier et à la transmission de son art. Il a eu raison. Comme un bon vin, son chant s’est bonifié. Et douze ans après, il revient avec une énergie renouvelé. Lui dont on gardait – peut-être à tort – le souvenir d’un chanteur en mal de subtilité, se présente sous un autre jour. La silhouette s’est épaissie, le vibrato élargi mais le timbre a conservé son velours noir. La voix surtout s’est libérée. L’aigu qui autrefois trahissait l’effort, reste son talon d’Achille mais saillit plus naturellement. Face à un public enthousiaste, manifestant d’emblée son plaisir de le retrouver, le ténor privilégie la nuance. Grand bien lui fasse ! José Cura n’est jamais aussi captivant que lorsqu’il allège le ton et ose la demi-teinte. L’interprète a enrichi sa palette d’expression. La technique, dans son accomplissement mais aussi ses failles, est habilement utilisée pour renforcer le propos. Paillasse, Dick Johnson et encore plus Otello, même privés d’artifices scéniques, s’imposent dans leur vérité théâtrale, incontestablement. L’artiste enfin est généreux. Dans cet exercice du récital qui voit trop souvent les numéros symphoniques prendre le pas sur le tour de chant, le programme pour une fois fait la part belle aux voix. Et comme si cela ne suffisait pas, deux bis éclatants de santé viennent s’ajouter aux larges extraits d’Otello : « Nessun dorma » précédé de « O Soave fanciulla » en duo avec Camilla Nylund.
Même si moins populaire, la soprano est plus qu’un faire-valoir. De Salomé sur la scène de La Bastille en 2009, on avait aimé la pertinence quand Elisabetta à Amsterdam deux après, exposait les limites du registre inférieur. De là à en déduire que ses affinités sont plus germaniques qu’italiennes, il n’y a qu’un pas, qu’une Nedda gauche car prise à froid semble autoriser à franchir. Foin de préjugés. Dans La Fanciulla del West, Camilla Nylund réussit à assouplir l’émission et sort son meilleur atout de la manche : un aigu saisissant, dardé comme une lance. Desdemona après l’entracte saura utiliser cette arme, parmi d’autres. La gestion du souffle, notamment, autorise certaines notes du meilleur effet et, comme son partenaire, une large palette de nuances participe à la composition. D’un tel duo, ne peuvent jaillir que des étincelles. Las, l’Orchestre National d’Île-de-France a du mal à exalter ce « génie italien » qui donne son titre à la soirée, et la direction de Mario De Rose, parfois débordée par la fougue de ses interprètes, ne met que sporadiquement le feu aux poudres.