Savourons, avant même de découvrir ce Stiffelio mis en scène par Ezio Donato, le décor de la superbe salle du Teatro Massimo Bellini de Catane – le plus grand théâtre d’Italie avec d’amples loges, mais qui ne propose qu’un peu plus de 1300 places alors qu’il était prévu pour 3000 –, dont Beniamino Gigli disait qu’il avait la meilleure acoustique du monde.
Il est dommage que cet opéra, créé en 1850 – un an avant Rigoletto – soit si peu représenté, car sa modernité et la beauté des chœurs ainsi que de nombreuses pages en font une œuvre attachante même si on n’y retrouve pas les tubes de la trilogie populaire. On peut notamment s’en faire une idée au disque et en DVD, dans la collection Tutto Verdi (voir la critique de Laurent Bury).
Le rideau se lève sur un décor minimaliste. Quelques chaises, une grande table surmontée d’un manuscrit aux marges enluminées et une projection en noir et blanc sur le fond de scène, voilà tout. Les costumes aux tissus ordinaires, sombres et à la coupe sobre correspondent aux propos et au contexte protestant qui sert de trame de fond à l’histoire, mais on ne peut s’empêcher de se dire que la crise est passée par là. Les chœurs, disposés en rangs derrière un tulle, sont vêtus d’habits contemporains noirs et discrets, comme si on assistait à une version concertante. Ce qui pourrait n’être qu’un cache-misère se révèle être un dispositif efficace conçu par Ezio Donato, universitaire et homme de théâtre : les sentiments sont exacerbés et une surprenante concentration lie le spectateur au moindre geste ou manifestation d’émotion.
La production de Catane est soutenue par une distribution homogène, particulièrement mise en valeur dans les ensembles, dont un septuor qui nous a semblé prendre toute son ampleur dans une salle avec pareille acoustique. Dimitra Theodossiou campe une Lina attachante voire touchante à la voix étrange mais belle, aux intonations pas toujours précises mais incontestablement expressives. Stiffelio, son époux jaloux, est servi avec retenue par le ténor Roberto Iuliano, aux aigus parfois étranglés mais avec de superbes piani. Moins convaincant en Raffaele, Giuseppe Costanzo propose un amant un rien effacé mais dont le chant offre un beau nuancier. Dans un registre franchement plus grave, le baryton Giuseppe Altomare s’impose dans le rôle de Stankar en père tourmenté, avec une voix dont on retient surtout la puissance et la flexibilité. Par ailleurs, la basse Mario Luperi impressionne en Jorg, pasteur intransigeant, ne serait-ce que par son apparence quasi sinistre (longiligne et crâne rasé, il ferait un excellent Nosferatu une fois grimé). Le contraste entre graves et aigus, ces derniers particulièrement délicats, lui valent un surcroît d’applaudissements au moment des saluts.
Pour asseoir encore ce Stiffelio très équilibré tant d’un point de vue dramaturgique que vocal, le chef Antonino Manuli parvient à mettre en valeur tous les pupitres. Il insuffle puissance et solennité à une partition qu’il sert mieux qu’honnêtement.