Bien que cette production de Carmen à la Deutsche Oper remonte à 1979, la mise en scène originelle de Peter Beauvais rafraîchie par Soren Schuhmacher en 2009, ne semble pas avoir pris une ride. Elle présente un tableau on ne peut plus fidèle au livret : les décors andalous rivalisent d’authenticité avec les costumes pittoresques – mais pas toujours seyant – des chanteurs.
A défaut de surprise scénique, le succès de la soirée dépend de la fosse et du plateau. Au pupitre, Giuseppe Finzi tire le meilleur de l’orchestre de la Deutsche Oper : cuivres étincelants, cordes envoûtantes, rythme soutenu sans jamais être précipité.
Sur la scène, les prestations sont plus inégales. Si les chœurs sont remarquables, notamment celui des cigarières, très enthousiastes dans leurs joutes claniques, on note cependant quelques flottements du côté de nos chères têtes blondes (d’ailleurs un peu trop blondes pour se croire à Séville…).
Le ténor urugayien Carlo Ventre serait un Don José remarquable, tant par ses aigus acérés que par son jeu d’amoureux transi crédible, si sa diction n’était pas aussi pâteuse – au point que même ses récitatifs sont incompréhensibles. L’Escamillo de Bastiaan Everink, techniquement irréprochable, accuse néanmoins un déficit de musicalité dans son chant. L’air du toréador est débité sans conviction tandis que son jeu trop appuyé est décalé. Martina Weischenbach campe une Micaëla fragile mais déterminée. Elle est dotée d’une émission pure et efficace pour incarner ce rôle de victime. Ses prestations sont parfaitement dans le ton du personnage. Frasquita et Mercédès (respectivement Hulkar Sabirova et Christina Sidak), les deux comparses de Carmen, sont également très convaincantes, tant par leurs danses lascives quand il s’agit de séduire le militaire, que lorsqu’elles tirent les cartes au cours de l’air « mêlons, coupons ». Ben Wager (le capitaine Zuniga) et Stephen Barchi (l’officier Moralès) font de leur mieux pour donner corps à ces personnages souvent bousculés et molestés. Les interventions de Gideon Poppe (Remendado) et Jörg Schörner (Dancaïro), émaillées d’un accent allemand à couper au couteau digne des films de Louis de Funès, sont du plus haut effet comique.
A leurs côtés, la prestation de la soprano française Clémentine Margaine en Carmen est un véritable enchantement. Elle parvient à incarner une bohémienne dominatrice et séduisante sans jamais être vulgaire ni aguicheuse tout en nous gratifiant d’un chant impeccable. Elle enchaîne les airs les plus rebattus avec aisance et fraîcheur. Son grave est aussi sombre que ses aigus sont percutants tandis que sa voix chaude et ronde n’accuse aucune faiblesse sur l’ensemble de la tessiture. Contrairement à son héroïne, on peut lui prédire une longue carrière de séduction sur les plus grandes scènes lyriques.