Créée à l’automne 1995 avec Leontina Vaduva et Roberto Alagna cette production de La Bohème a plutôt bien traversé le temps. La transposition dans les années 1930 fonctionne et les décors extrêmement réalistes de Dante Ferretti, la mansarde des étudiants au milieu de laquelle trône un poêle et dont l’un des murs est recouvert d’une affiche de film avec Jean Harlow, le café Momus avec son allure de grande brasserie parisienne et surtout le cabaret du troisième acte qui n’est pas sans évoquer l’Hôtel du nord de Marcel Carné, font toujours beaucoup d’effet.
La direction d’acteurs, en revanche, semble s’être émoussée avec les années au point qu’il n’en reste plus qu’une vague mise en place avec force gestes convenus.
La qualité dominante de l’équipe réunie pour cette reprise et l’homogénéité. Des seconds rôles remarquablement tenus, se détache l’irrésistible Benoît de Matteo Peirone déjà présent lors de la précédente reprise de l’ouvrage en 2009. Autre vétéran de cette production, Ludovic Tézier qui chantait Schaunard en 1999 avant d’être Marcello dix ans plus tard. Avec les années, son incarnation a gagné en profondeur et en humanité, son jeu à la fois sobre et subtil ne laisse de convaincre. Sa voix ample et chaleureuse et l’élégance de sa ligne de chant lui ont valu un triomphe bien mérité au salut final. Doté d’un timbre sombre au grave abyssal, Ante Jerkunica qui interprètera Sarastro la saison prochaine, est un Colline de luxe, sa « Vecchia zimarra » est un modèle d’intériorité et d’émotion. Luxueuse également, la Musetta de Brigitta Kele qui avait déjà fait sensation dans le rôle de Nedda voici deux saisons. La soprano roumaine possède l’abattage et la sensualité que réclame son personnage à qui elle prête de surcroît un médium large et sonore qui fait merveille.
Maria Agresta trouve en Mimi un rôle mieux adapté à ses moyens que l’Elvira des Puritani qu’elle incarnait sur cette même scène en décembre dernier. Point ici de vocalises ni de suraigu périlleux. La voix est ample, la ligne souveraine et la cantatrice n’est guère avare de nuances subtiles du plus bel effet, notamment dans « D’onde lieta uscì », nostalgique à souhait. Stefano Secco enfin possède une jolie voix lyrique, claire et homogène, idéale pour Rodolfo, cependant son personnage n’a rien de bouleversant. Ce chant lisse et propret ne provoque pas le grand frisson et l’on assiste impassible et l’œil sec au tableau final. La faute en incombe peut-être aussi à Daniel Oren qui a déjà dirigé l’ouvrage dans cette production en 1999, 2001 et 2009 et dont la battue certes précise, mais routinière, ne parvient pas à distiller la moindre émotion.