Elles ne sont pas si nombreuses les chanteuses pourvues du sens de l’humour, les divas qui, ne se prenant pas au sérieux, savent rire de tout, y compris – et surtout – d’elles-mêmes. Telle se présente Sumi Jo lors de ce récital au Théâtre du Palais-Royal. Les rendez-vous des lundis musicaux, désormais installés dans l’agenda lyrique parisien, prédisposent à l’intimité. C’est, ajouté au prestige des artistes invités, ce qui en fait le prix. De fait, la soprano coréenne abandonne ses habituelles coloratures pour exposer un autre visage de son art. Et lorsqu’elle consent à l’acrobatie – « Lo, here the gentle lark » et, plus encore, « ah, vous dirais-je Maman » – elle se prête au jeu avec un détachement, une espèce de second degré, dont on se demande s’il n’est pas volontairement caricatural. Cocotte, Sumi Jo ? Les préjugés sont tenaces et elle en use, entrant sur scène dans un froufrou de fanfreluches blanches, revenant après l’entracte d’un même pas chaloupé, sanglée dans une robe longue à fleurs écarlates, mi geisha, mi gitane, drag queen presque tant la pose peut sembler excessive. Le récital achevé, elle explique, boa rouge et castagnettes à l’appui, que trop nerveuse, elle a oublié ces deux accessoires indispensables à la Sevillana de Don César de Bazan. Là est la raison de son contre-mi raté. Elle le reconnaît avec une franchise propre à désarmer le plus féroce des critiques (ce que nous ne sommes pas).
De fait, après avoir arpenté en long et en large les cimes de la portée, Sumi Jo ne peut aujourd’hui prétendre rivaliser avec ce qu’elle fut. Qu’elle parvienne encore, avec plus ou moins de justesse, à redoubler d’agilité et atteindre les notes les plus hautes est déjà exploit. Son répertoire, désormais plus étendu, prend son assise sur un médium affermi qui lui autorise l’inconcevable : les Siete Canciones populares Espagnolas de Manuel de Falla, ces pièces incendiaires méprisant l’aigu mais exigeant notes profondes, sonorités gutturales et tout un attirail d’effets dont on ne l’aurait pas crue capable. La surprise, de taille, ne saurait faire oublier les plus grandes interprètes du cycle. Elle appelle cependant le respect.
De même, qui aurait imaginé une Bacchianas Brasileiras, un « O mio babbino caro » dont seule la messa di voce interminable rappelle la technicienne. Tout n’est qu’intention dans ces airs rebattus où la voix trouve l’unité qu’elle avait cherché en vain, hésitant ailleurs entre ce médium nourri et cet aigu désormais aminci et vacillant.
Le public, enthousiaste, exige davantage. Au moment des bis, des noms fusent à droite, à gauche. « Schubert ! ». « Une chanson coréenne ! »… « Lakmé ! » ose même une impudente qui n’a pas compris que la page était tournée. A chaque proposition, Sumi Jo répond dans un français parfaitement maitrisé, comme auparavant en attestait « Nuit d’étoile » de Debussy. « Je vais vous chanter quelque chose que vous ne connaissez pas ». Exact ! Un verre de vin rouge à la main, elle entonne une polka qui doit être au répertoire viennois ce que l’air de La Perichole est à l’opérette française. La dérision prévaut encore lorsque le chant s’amuse à donner l’illusion de l’ivresse.
Le public en redemande. Elle reprend alors « Bist du bei mir » de Jean-Sébastien Bach avec une émotion renouvelée, accompagnée par la guitare de Krzysztof Meisinger et le piano de Jeff Cohen. Les deux hommes sont mieux que des partenaires : des musiciens – comme le démontre, empreintes de sentiments, pour l’un la « Fantasia de La Traviata » et pour l’autre la deuxième des estampes de Debussy –, et des complices visiblement heureux de partager ces moments de musique avec Sumi Jo. On les comprend.
>> Prochains rendez-vous des lundis musicaux du Palais-Royal :
- Dimanche 22 juin 2014, à 20h : Anna Prohaska (plus d’informations)
- Lundi 23 juin 2014, à 20h : Elina Garanca (plus d’informations)