Composée par Mozart à l’âge de dix-neuf ans et entourée d’un certain mystère sur ses origines, La finta giardiniera dont le premier acte original en langue italienne a disparu jusqu’en 1978, fut créée d’après un livret imposé. Remanié ensuite par son auteur avec un art musical qui s’affinait, ce dramma giocoso, fut représenté sous forme de singspiel dans une traduction en allemand. Jusqu’à nos jours, l’œuvre a régulièrement refleuri sur les scènes lyriques, dans la discographie, même en vidéo. Si l’on s’accorde à trouver son livret rocambolesque et sa musique inégale, on peut se demander ce qui rend la rend si attrayante. C’est qu’en dépit de son ouverture sans grand relief et de son intrigue embrouillée, cette partition, imparfaite mais fourmillante, recèle une ardeur juvénile qui lui confère un charme irrésistible et fait souvent entrevoir les beautés des Noces de Figaro et la suavité mêlée de fougue, d’ironie, de sagesse qui font la grandeur et la subtilité de Cosi fan tutte.
Que dire de cette reprise du Théâtre des Arts de Rouen — coproduction avec Aix-en-Provence, Luxembourg et Toulon — qui a déjà fait diversement parler d’elle ? Si, la première partie avec son charmant décor aérien minimaliste, ses jolis costumes, ses entrées et sorties bien réglées, fait entrer gaiement dans l’action, la folie bouffonne qui suit l’entracte semble bien caricaturale. On regrette que la solide direction d’acteurs de Vincent Boussard s’égare parfois dans des gags d’un goût assez douteux dès que le tragique et le fantastique surviennent. Dommage surtout que cette deuxième partie soit surchargée d’effets visuels intempestifs peu significatifs dont la vidéo désordonnée des roses artificielles géantes (n’est pas Bill Viola qui veut…). Particulièrement en cause : la fleur en premier plan flou, interminablement agitée d’un mouvement pendulaire horripilant.
Nonobstant, solos, duos et ensembles se succèdent… Arias da capo, couplets bouffons ou poétiques, récitatifs joliment accompagnés sont exécutés par un plateau de chanteurs très équilibré qui procure beaucoup de plaisir à entendre. Dans le rôle titre, Olivia Doray, voix fraîche, bien timbrée et diction impeccable est une jeune première accomplie. Elle chante avec compétence l’aria « Noi donne poverine » et se montre émouvante dans la touchante cavatine « Gemme la tortorella ». À travers son duo avec le robuste baryton basse Vincent Billier en Nardo, la jeune soprano Jenny Daviet, déjà remarquée, tient ses promesses dans Serpetta et son charmant « Chi vuol godere il mondo » bien projeté est plein de délicatesse. La solide mezzo italienne Federica Carnevale possède suffisamment d’énergie et de mordant pour incarner avec brio Arminda, rôle tragi-comique écrit pour castrat contralto. Quant à Julie Robard-Gendre, un peu sur la corde raide vocalement dans une partie de castrat soprano, elle reprend bravement le Don Ramiro déjà chanté à Aix. La distribution masculine est menée par le ténor canadien Colin Balzer. Sans ménager sa peine, avec tout le lyrisme voulu, il campe un Podestat benêt et têtu, finalement assez attachant. Enfin, silhouette longiligne, séduisant, sûr de lui, en pleine possession de ses moyens vocaux et bon acteur en prime, le ténor argentin Carlos Natale, rompu au répertoire mozartien comme au belcanto, remporte indiscutablement la palme dans l’extravagant Comte Belfiore.
Reste à saluer l’orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie conduit par Andreas Spering. Flûtes délicates, hautbois moqueurs, cuivres grincheux, cordes soyeuses ou grinçantes… Comme il se doit, tous les pupitres participent pleinement au drame — qui naturellement finit bien. Trois couples se forment. Le Podestat resté seul en prend son parti en attendant des jours meilleurs.