Pour clore sa saison, la Salle Favart s’offre une création mondiale. Bravo. On a pris l’habitude d’associer à cette formule la présentation d’œuvres ambitieuses, souvent vouées à ne plus jamais être revues ni entendues au lendemain des quelques représentations prévues. Robert le cochon semble promis à un tout autre avenir, à en juger d’après la réaction enthousiaste des tout jeunes spectateurs venus nombreux en ce soir de première. On ne cherchera pas ici de référence à un autre Robert célèbre dans l’histoire de l’opéra : ni diable, ni nonnes spectrales dans cet « opéra-comique pour les familles », où les forces du mal ont pourtant leur place. Face aux trois gentilles bébêtes se dresse la terrible Trashella, « reine des ordures » dans tous les sens du terme, et son âme damnée Ferdinand. Nœud de l’intrigue : Trashella, propriétaire du dépotoir de la forêt, fait capturer le loup, que le cochon et la grenouille délivreront ensuite en expédiant la dame dans la lune, ce qui aura pour effet de la rendre gentille lorsqu’elle découvrira l’amour avec son sbire. Pas de quoi fouetter un chat, ou même un porc. Ex-directeur de France Musique, actuel directeur du CNSM, déjà compositeur de plusieurs contes musicaux (Par ici les enfants, La Princesse Kofoni, L’Histoire de Clara…), Marc-Olivier Dupin a choisi de prolonger le travail entrepris en 2005 avec un premier Robert le cochon qui n’avait, lui, rien de scénique. Avec la collaboration de l’auteur du texte, Ivan Grinberg, il a développé le récit pour en tirer un opéra. Et s’il invoque Wagner et Richard Strauss dans le programme de salle, on pense évidemment au Ravel de L’Enfant et les sortilèges ou au Prokofiev de Pierre et le loup. Marc-Olivier Dupin a fait le choix de mélodies simples et entraînantes, sur des textes clairs, compréhensibles et rimés, ce qui est un excellent point par rapport à certaines élucubrations abstruses qu’on propose parfois à nos chères têtes blondes. Il aime le tango, et cela s’entend dans Robert le cochon. Il aime aussi la valse, le fox-trot et la czardas. Il semble même aimer un peu le jazz, à en juger d’après la danse de Trashella. Il détourne même la chanson de la Belle-Epoque, « Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite ». On pourra tout de même s’étonner qu’aucune forme musicale plus récente ne l’ait inspiré : cette musique, charmante au demeurant, n’aurait-elle pas pu être composée pour une opérette télévisée destinée aux enfants des années 1960, une sorte d’Aglaé et Sidonie superstars ?
D. Bouvet, D. Michel-Dansac, M. Mauillon, P.-A. Dubois © E. Carecchio
Quoi qu’il en soit, le public visé a répondu à l’appel, et c’est peut-être le dépaysement créé par ces rythmes d’hier qui l’a conquis. La réalisation scénique participe de la même naïveté réjouissante, avec ces costumes et ces éléments de décor aux couleurs vives : une magnifique fusée orange fabriquée avec des poubelles, un entassement de niches abandonnées, ou un arrière-plan digne des meilleurs spectacles de guignol. L’orchestre Poitou-Charente dirigé par le compositeur lui-même a le peps requis par une partition qui ne semble pas présenter de difficultés particulières. Pour le chant, en revanche, tous ne sont pas également à la hauteur. Grâce à un timbre toujours aussi frappant et une diction parfaite, Marc Mauillon domine la distribution mais, paradoxalement, dans le rôle de Kévin Louyaplu l’exterminateur plutôt que dans celui de Robert qui lui offre moins de morceaux saillants à interpréter. Mercibocou le loup bénéficie de la solide présence scénique de Paul-Alexandre Dubois, malgré une voix sans grand charme. Chez leurs consœurs, Edwige Bourdy, prisonnière d’une tessiture bien inconfortable pour elle, en est réduite à bramer des notes trop graves alors que les aigus de Trashella, qu’on voudrait stridents, ne sont guère audibles : on ne retrouve vraiment l’interprète telle qu’on la connaît que dans le couplet où la méchante est devenue bonne, et où elle peut s’exprimer avec la douceur qui lui convient le mieux. Quant à Donatienne Michel-Dansac, très cocasse en grenouille, on aimerait aussi pour elle une voix plus sonore et un aigu plus ferme. Hors-chant, chapeau à Damien Bouvet qui cumule – au prix de constants changements de costume – le rôle du Vieux Hibou narrateur et de l’âme damnée de Trashella, Ferdinand le muet.