Lorsqu’un ténor au sommet de sa carrière se prend à hésiter entre deux rôles, l’un d’entre eux est toujours Otello. Après avoir longtemps tourné autour du pot, Roberto Alagna s’apprête à franchir le pas à Orange cet été. Auparavant, des extraits de l’opéra de Verdi constituaient Salle Pleyel un galop d’essai qu’une fantaisie typographique sur les billets avait transformé en question (voir brève du 23/6). Alagna, Otello ? Le public enthousiaste à la fin de la soirée, debout même, apporte une réponse affirmative que l’on se contentera de nuancer.
Un « Già nella notte densa » parfois incertain n’est pas obstacle. Dans ce qui forme ici l’entrée en matière, la voix cherche ses repères mais la solidité du médium est gage de sécurité. La chaleur naturelle du timbre fait pencher la balance du bon côté. Le Maure ce soir est rayonnant, latin, viril, quand trop souvent, les failles lézardent la statue avant même qu’elle ne soit déboulonnée. Le bras de fer avec Iago à la fin du deuxième acte en trace les limites. La pression monte, l’effort devient perceptible, l’aigu serait cri si la vaillance ne venait pallier le défaut d’héroïsme. L’œil du ténor se cramponne à la partition comme si soudain il lui fallait un garde-fou.
Le chant retrouve après l’entracte son assurance mais prudent, reste longtemps rivé au pupitre. Le personnage prend forme. « Dio ! Mi potevi scagliar » est empoignant et, en termes d’interprétation, un modèle de sobriété que Roberto Alagna gardera – espérons-le – pour ligne de conduite quand, au contraire, d’inutiles effets expressifs mouchettent « Niun mi tema ».
C’est qu’auparavant Inva Mula, en modifiant la donne, invite à la surenchère. Desdemona jusqu’alors accusait un vibrato prononcé et une chair tuméfiée qui peut ne pas correspondre à l’image vocale que l’on se fait de l’épouse d’Otello. Une Chanson du saule suivie d’un Ave Maria, chanté à genoux, révèle l’artiste, celle qui au-delà des limites plastiques de la voix sait subjuguer par la seule force de l’interprétation et de la technique. La direction de Riccardo Frizza, dont on avait surtout relevé les quelques décalages, prend tout son sens. L’Orchestre national d’Ile-de-France atteint cette transparence qui fait la partition de Verdi travail d’orfèvre. Les applaudissements crépitent, plus forts et plus longs qu’ils ne l’avaient été précédemment.
Dimitri Hvorostovsky a déjà quitté la scène depuis un certain temps. La deuxième partie lui concède peu de répliques. De son Iago, outre le final du deuxième acte chargé de testostérone, on retient un credo davantage préoccupé de sons que de mots, couronné d’un rire emprunté à la panoplie de Vincent Price. Bouh ! Le vilain !