Deux-cent-cinquantième anniversaire de la naissance de Rameau oblige, les raretés succèdent aux inédits pour la plus grande félicité des ramistes. Après Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour ressuscitées à Versailles sous la conduite d’Hervé Niquet, le Festival de Beaune fêtait l’enfant du pays, le 5 juillet dernier, en invitant Christophe Rousset à diriger le méconnu Zaïs. Toutefois, ce n’était que le premier acte d’une célébration qui se poursuivra le 26 juillet avec Castor et Pollux, confié à Raphaël Pichon, William Christie dirigeant le lendemain ses Arts Florissants dans les grands motets.
L’argument de Cahusac, qui s’inspire largement du Zélindor de Francoeur et Rebel comme de l’Issé de Destouches, frappe par sa simplicité, pour ne pas dire sa naïveté, et tiendrait sur un bristol. Déguisé en pâtre pour ne point effaroucher Zélidie, Zaïs, le génie des airs, met sa constance à l’épreuve avec la complicité du sylphe Cindor, mais la pastourelle repousse ses avances et résiste au doute qu’il cherche à instiller en elle. Convaincu de sa fidélité, Zaïs révèle sa véritable identité mais celle-ci intimide et désole la bergère, il renonce alors à ses pouvoirs afin de l’épouser en égal quand surgit Oromazès, le roi des génies, qui lui rend son statut et offre également l’immortalité à Zélidie, le quatrième et dernier acte se refermant sur les noces des amants. Rameau pourrait transformer du plomb en or et réussit, en l’occurrence, à transcender l’indigence du livret. Sans aller jusqu’à parler d’un chef-d’œuvre, nous partageons, avec Girdlestone, le jugement de Masson (L’Opéra de Rameau) : « C’est ce mélange de grandiose, de gracieux et de touchant dans une œuvre de demi-caractère, qui fait encore pour nous le charme particulier de Zaïs ».
Si Sabine Devieilhe nous révélait voici peu les étonnants raccourcis harmoniques du monologue de Zélidie, « Coulez mes pleurs », avouons-le, nous ne connaissions guère de Zaïs que l’ouverture, où Rameau donne à entendre, sinon à voir les images du débrouillement du chaos, du choc des Eléments lorsqu’ils sont séparés et l’émergence progressive de l’univers, de l’ordre et de l’harmonie. Des pages instrumentales telles que ce prodigieux poème symphonique ou encore « les Torrents s’ouvrent un passage » (prologue) annoncent, ni plus ni moins, la révolution stylistique de Zoroastre. Et puisque l’orchestre est le premier et véritable héros de cet opéra-ballet ou ballet « héroïque », il nous faut saluer d’emblée la performance exceptionnelle des Talens lyriques, littéralement galvanisés, mais aussi tenus d’une poigne infaillible par Christophe Rousset. Les épithètes ne sont pas trop fortes pour saluer la prestation des musiciens dans une partition aussi exigeante, qui sollicite non seulement leur virtuosité, mais aussi leur endurance. Aucun relâchement, pas la moindre baisse de régime à déplorer, la précision et la vigueur du geste dans les gammes et arpèges voltigeurs du « ballet de la légèreté et de l’inconstance », au III, nous laissent pantois d’admiration, mais il faudrait aussi revenir sur le ballet figuré du I ou sa « symphonie voluptueuse », entre autres numéros, car ils flattent une plastique sonore qui n’a rien à envier au légendaire moelleux des Arts Florissants.
Christophe Rousset © FIOB Beaune 2014
Les interventions, hélas peu nombreuses, du Chœur de Chambre de Namur, se hissent au même niveau (superbe « Aquillons rompez votre chaine! »), mais les choses se compliquent avec les solistes. Difficile de ne pas imputer à une méforme, espérons-le passagère, les contre-performances de Konstantin Wolff (Oromazès), engorgé et qui s’époumone dans le prologue, et d’Amel Brahim-Djelloul (La Grande Prêtresse, une Sylphide), atone et livide, au contraire de l’Amour alerte, frais et délicieusement velouté de Hasnaa Bennani. De Cindor, Benoît Arnould, qui ne manque pourtant pas de vaillance, peine à évoquer « la puissance souveraine » et les « effets éclatants », le rôle étant manifestement trop lourd pour ses moyens actuels.
Parfois en délicatesse avec le diapason, notamment lorsqu’elle tente d’alléger son émission, Marie Arnet confère toutefois une épaisseur inattendue au personnage de Zélidie, dépourvue de toute mièvrerie et dont la sincérité, la candeur étonnée comme le désarroi nous étreignent. Le Zaïs de Julien Prégardien, crinière léonine et port altier, a tout pour la séduire : un timbre personnel et pénétrant, un mélange savamment dosé d’ardeur et de suavité, du style, mais l’intonation se révèle fragile et la raideur de l’organe compromet son virevoltant triomphe (« Règne Amour, lance tes traits »). L’acrobatique et très tendue ariette d’un Sylphe (Zachary Wilder), « Dans nos feux » expose les limites de cette tessiture de haute-contre qui posait déjà problème à l’époque et que Rousseau, notamment, ne s’est pas privé de fustiger.
Cette production de Zaïs sera reprise à l’automne, d’abord au Concertgebouw d’Amsterdam (15 novembre) puis à l’Opéra de Versailles (18 novembre), Sandrine Piau succédant à Marie Arnet en Zélidie, avant de faire l’objet d’un enregistrement. C’est une excellente nouvelle car la seule gravure, incomplète, de l’œuvre, réalisée dans les années 70 par Gustav Leonhardt à la tête de la Petite Bande, n’est plus disponible.