Plutôt que le traditionnel récital proposé en gala de clôture, le Festspielhaus de Baden-Baden termine en beauté une année bien remplie avec une version concertante de Die Entführung aus dem Serail, œuvre qui permet d’aligner une brochette de stars tout en offrant un feu d’artifice vocal. Pari réussi pour cette soirée, à une exception près, mais de taille. En effet, tous sont remarquables, sauf Rolando Villazón, en petite voix. Le ténor franco-mexicain semble perpétuellement dans ses derniers retranchements et peu à l’aise dès qu’il s’agit de forcer, toujours à la limite de craquer. Mais le public badois adore la star, qui peut ici tout se permettre, à commencer par adapter le récitatif : les « Freund » deviennent « amigo », « Alte » se mue en « Señor » ou encore « Liebe » en « Amore », ce qui amuse beaucoup l’assemblée. Mais dans une version de concert, on ne peut pas abonder dans la pitrerie et l’artiste se montre au demeurant étonnamment sobre. Certes, son Belmonte déploie des trésors de sensibilité et de douceur, cependant on reste – et c’est peu dire – sur sa faim. Mais à l’applaudimètre, on s’aperçoit que la prestation de Rolando Villazón a été un triomphe, ce qui n’est guère surprenant pour celui qui a toujours été l’un des chouchous du Festspielhaus…
L’autre star de la distribution, Diana Damrau, est éblouissante. Les difficultés du rôle de Konstanze ne lui posent aucun problème ; les suraigus sont distribués comme à la parade, la pureté de chant étonnante, à tel point que cela devient quasi artificiel, trop peu humain, mais il n’est pas grand chose à redire sur la vocalité exceptionnelle de cette grande artiste. « Martern aller Arten », en particulier, est d’une virtuosité absolue.
Dans le périlleux rôle d’Osmin, c’est Franz-Josef Selig qui officie avec bonheur. Certes, il n’atteint pas les profondeurs insondables de Martti Talvela, mais peu s’en faut. Son timbre rayonne de séduction immédiate, tout en suavité. Dans les aigus, la souplesse est doublée d’une grande facilité et tant dans les intonations que dans les mimiques, la basse allemande fait merveille. La scène de beuverie est tout particulièrement réussie.
Si le jeu de Franz-Josef Selig convainc fortement, celui de Paul Schweinester est particulièrement vibrant, y compris dans les récitatifs. Le ténor autrichien virevolte, s’exalte et son sens de l’abattage réjouit. Vocalement, il est en totale adéquation avec son rôle. Dommage qu’il ne lui soit pas donné de briller davantage dans un rôle avare en airs de bravoure. Anna Prohaska est de son côté une Blondchen pétillante, vive et délicieusement effrontée. La voix manque parfois de rondeur, mais dégage un charme fou. De façon générale, les ensembles fonctionnent bien et le spectacle est un régal.
En guest star, Thomas Quasthoff incarne le rôle parlé de Bassa Selim. Certes, le chanteur a mis fin à sa carrière, mais il a répondu présent à l’invitation du Festspielhaus. Le revoir est particulièrement touchant. On se souvient qu’il avait fait beaucoup de radio et sa voix parlée s’impose d’emblée, fascinante, chaude et noble. Son pardon final est mieux que convaincant et impose, au minimum, un profond respect. Qu’il soit permis ici de rendre un hommage vibrant à ce chanteur d’exception.
Pour finir, il faut également saluer, à la tête du Chamber Orchestra of Europe, la direction de Yannick Nézet-Séguin, chef fougueux et bouillonnant, parfaitement à l’aise dans le répertoire mozartien. S’il ne transcende pas la partition, il sait la mettre efficacement en valeur. C’est un peu l’impression qu’on retiendra de cette soirée de gala, en attendant une nouvelle saison qui s’annonce pléthorique dès septembre.