De La Grande-duchesse de Gerolstein, opéra bouffe créé à Paris en 1867, à la Grande-duchesse tout court, spectacle proposé par la Compagnie Les Brigands en cette période de fêtes, il y a un tripatouillage dont Laurent Bury l’an passé s’employait précisément à démonter le mécanisme (voir son compte rendu). A l’opposé de la démarche scrupuleuse de Marc Minkowski en 2004, la réorchestration de la partition pour neuf instruments, la modification de l’ordre des numéros, la suppression pure et simple de plusieurs d’entre eux, les libertés prises avec le livret changent radicalement le profil de l’œuvre. Fritz a viré sa cutie ; Wanda, sa fiancée, devient le soldat Krak. C’est amusant. La confusion des sexes est forcément savoureuse en ces temps de manif pour tous. Si au départ l’idée fonctionne, expliquant de manière pertinente l’embarras du beau militaire face aux tentatives de séduction de sa souveraine, elle s’emmêle rapidement avec les autres ficelles de l’intrigue. Quid de la jalousie du Général Boum qui, au contraire de son subalterne n’est pas plus gay que la moyenne ? A quoi rime la nuit de noces puisque de mariage entre Fritz et son compagnon, il n’est jamais question ? Tant qu’à modifier radicalement la donne amoureuse, n’aurait-il pas fallu pousser la logique jusqu’au bout ? Le principal inconvénient de cet étourdissant mic-mac reste musical. On a beau être ouvert d’esprit, un ténor ne peut sans conséquence se substituer à une soprano, dans les duos comme dans les ensembles. La remarque vaut aussi pour le baron Grog, rôle masculin confié ici à la très féminine Emmanuelle Goizé. Offenbach pour tous ? Nous avouons ne pas être encore prêt.
Pourquoi alors (re)voir ce spectacle somme toute anecdotique dans le corpus des Brigands, qui compte d’autre réalisations plus abouties : Ta bouche, Toi, c’est moi … ? La réponse tient en un nom : Isabelle Druet. Dans le rôle-titre, la mezzo-soprano réunit toutes les conditions requises, qu’il s’agisse de longueur, de couleur de voix ou de cet art de dire qui est une des clés de l’interprétation d’Offenbach. La fantaisie n’a rien de forcé et, la mélancolie, inhérente autant que le rire à la musique du compositeur des Contes d’Hoffmann, coule elle aussi de source. A la crise de nerfs, inénarrable parodie de Meyerbeer, succède un air du sabre ciselé comme une mélodie de Fauré. « Dites-lui » baigne dans la même eau limpide sans que l’écriture, inconfortable pour beaucoup, ne semble jamais la mettre en difficulté. L’aisance scénique, enfin, la candeur de cette Grande-duchesse, ses élans, ses enthousiasmes achèvent de la rendre bougrement attachante.
Sans atteindre ce même niveau d’interprétation – mais leurs personnages sont moins complexes –, les autres chanteurs se glissent dans leurs rôles avec un naturel réjouissant. Si l’on peut aimer voix plus opulentes, même dans Offenbach, tous possèdent une diction irréprochable qui permet de ne pas perdre un seul des nombreux calembours glissés par Meilhac et Halevy, le plus drôle étant cette prémonitoire « gazette de Hollande » que le Prince Paul lit, tenant à la main un numéro de Closer avec en couverture l’actuel président de la République Française. Pour le passage en revue des interprètes, on se reportera de nouveau à l’analyse de Laurent Bury dont nous partageons en tous points l’avis. Seul élément nouveau, Arnaud Marzorati, qui chante le Baron Puck, s’intègre comme s’il avait toujours fait partie de la troupe aux nombreux ensembles, d’une voix aussi égale que sonore. La mise en scène de Philippe Béziat a le mérite avec peu de moyens de rendre compréhensible une intrigue somme toute alambiquée sans verser dans la gaudriole, voire le scabreux. Christophe Grapperon, de cet air pince sans rire que l’on a plaisir à retrouver, essaie de gonfler du mieux qu’il peut le le soufflé instrumental. Mais un orchestre réduit à 8 musiciens, comparé aux formations auxquelles on est habitué, paraît régime sévère en cette période d‛agapes.