Une fois encore Offenbach connaît le succès à l’Opéra de Toulon : après Orphée aux Enfers et La vie parisienne, c’est au tour de La Belle Hélène d’obtenir acclamations et bravos rythmés, en vagues si prolongées que nous nous sentirions presque coupable de ne pas être au diapason ! La production, que nous avions vue à Toulouse, ne semble pas avoir évolué. Le texte lui-même, établi par Bernard Pisani, conserve intégralement la charade sur l’Airbus A380 – à la place de la locomotive – mais nous prive toujours du calembour. L’adaptation à notre temps est somme toute discrète et l’élagage, quoique abondant, pratiqué avec habileté. Les décors d’Éric Chevalier sont toujours sommaires – même pas un fronton de temple à l’acte I – mais cela ne nuit pas aux nécessités dramatiques et leur esthétique néo-classique – le groupe sculpté de Léda et Zeus – n’a rien d’incongru. Les costumes de Frédéric Pineau, ponctués de détails décoratifs inspirés de l’antique, n’ont rien perdu de leur élégante fantaisie, que les lumières de Jacques Chatelet valorisent au mieux. Aucune provocation malséante dans la mise en scène de Bernard Pisani, que l’on qualifiera de « classique », avec une idée jolie pour l’arrivée de la colombe messagère et une autre inutile avec les lutteurs de la première scène. A noter la belle image derrière le rideau de gaze du front de mer de Nauplie.
© Frédéric Stephan
Puisque rien en somme n’accapare l’attention du spectateur au détriment de la musique et du chant, les conditions sont idéales pour savourer cette malicieuse composition. En principe. Car en définitive toute représentation est le résultat de compromis satisfaisants entre le désirable et le possible. Ce soir, à plusieurs reprises, ce compromis est mis à mal par la direction de Nicolas Krüger. Dans la même maison, il nous avait conquis en dirigeant Les Brigands, puis déçu dans Il Barbiere di Siviglia.
L’ouverture laisse espérer le meilleur, dans sa quête de couleurs et de contrastes sonores. Par la suite, il peine à éviter les pièges de scansions pesantes et il cède plusieurs fois à des emballements qui créent des décalages entre la fosse et le plateau. C’est dommage, car l’orchestre le suit sans problème. Sur scène, les forces de la maison participent très honorablement, des chœurs au ballet. Ce dernier se voit confier par Bernard Pisani, danseur de formation, des interventions nombreuses et globalement plaisantes. Sa chorégraphie du « trio patriotique » du troisième acte en développe toute la bouffonnerie. Côté voix, certaines remettent en mémoire le débat : faut-il pour Offenbach des comédiens chanteurs ou des chanteurs comédiens ? Il y a les luxueuses Leoena d’Hélène Delalande et Parthoénis de Marie-Bénédicte Souquet, et les passables Achille (Vincent de Rooster) et Ajax I et II (Yvan Rebeyrol et Jean-Philippe Corre). L’Oreste d’Eugénie Danglade sonne d’abord strident, mais gagne en rondeur dans sa chanson du troisième acte. Le Ménélas d‘Yves Coudray et le Calchas d’Antoine Garcin n’en sont pas, c’est audible, à leurs débuts et ne semblent pas posséder d’infinies réserves vocales. En revanche Olivier Grand prête à Agamemnon une voix à la fois déliée et imposante comme sa stature. Cyrille Dubois est un Pâris de haute volée, qui allie netteté de la projection, clarté de la diction, extension dans l’aigu et ressources de souffle avec une maîtrise technique qui lui permet d’enchaîner des aigus puissants avec d’autres en voix de tête d’une séduisante subtilité. Comme la tenue du comédien est irréprochable, l’avenir de ce ténor s’annonce radieux. Reste l’Hélène de Karine Deshayes. Son Nicklausse et sa Périchole nous avaient conquis. Pourquoi pas cette reine de Sparte ? Il y a les inégalités vocales, qui font que parfois on peine à l’entendre dans le medium alors qu’elle démontre l’instant suivant l’ampleur de son organe et sa souplesse, en particulier dans l’escalade audacieuse suivie d’une descente vertigineuse dont s’orne la défense d’Hélène au troisième acte. Et puis il y a une interprétation du personnage qui semble inspirée d’une tradition aujourd’hui datée. Karine Deshayes a-t-elle suivi les conseils du metteur en scène ? Cette Hélène, nous ne l’avons senti respirer librement qu’au dernier acte, comme si à l’approche de la fin elle osait se délivrer d’une pesante convention. Souhaitons-lui de s’en libérer plus tôt !