De Don Rosa, dessinateur et scénariste de La jeunesse de Picsou, à Don Pasquale de Donizetti, il n’y a qu’un pas que l’Opéra de Saint-Étienne nous fait allègrement franchir grâce à la mise en scène d’Andrea Cigni et au talent des interprètes, chanteurs et musiciens, dans la scénographie de Lorenzo Cutùli. La tonalité spirituelle et émouvante à la fois d’une musique aux effets si soignés épouse avec bonheur l’humour des bandes dessinées américaines consacrées au célèbre canard imaginé par Carl Barks. Loin de l’Épicène (Epicoene or the Silent Woman) de Ben Jonson, nous voilà d’emblée devant l’immense coffre-fort d’un Don Pasquale devenu Picsou, autre oncle avaricieux d’un neveu léger mais touchant. Ne manquent ni le sou fétiche dans son globe de verre ni la voilette qui permet à Miss Tick (Norina) de s’en emparer sous une fausse identité (Sofronia), pas davantage que la facétieuse exubérance de Malatesta (dont les costumes pourraient évoquer le personnage de Flairsou). Mais ces références laissent aussi place à quantité d’autres images, d’un kitsch assumé et d’une ironie mordante, comme Norina descendant des cintres sur une escarpolette enrubannée d’une guirlande de fleurs tout en lisant le magazine Vogue, ou encore transformée en Marylin Monroe vêtue d’une robe rose, comme ces messages apportés par des pigeons voyageurs ou l’inscription lumineuse « Rome, je t’aime ! » accompagnant la dernière ouverture du coffre-fort, recélant in fine le véritable trésor qu’est l’amour des deux jeunes gens. Les personnages secondaires (et en partie muets) sont traités dans le même esprit, mis au service d’une direction d’acteurs en phase avec le rythme dramatique et musical.
© Charlie Jurine
Incarnant Norina, la soprano coréenne Anna Sohn est remarquable d’aisance et de précision dans son interprétation en perpétuelle métamorphose, maîtrisant parfaitement la palette de ressources vocales et les qualités d’actrice que requiert le rôle. Dès sa cavatine du premier acte, elle assoit une autorité incontestable, faite de délicatesse et d’assurance, magnifiées par une excellente diction et une belle projection. À ses côtés, impressionnant dans la moindre de ses inflexions comme dans la plus légère de ses mimiques, Donato Di Stefano en Don Pasquale est d’une irrésistible drôlerie et d’une grande puissance vocale dans son chant toujours très expressif, capable aussi de dégager une authentique émotion (après le soufflet qu’il reçoit de Norina, par exemple). Le baryton Alex Martini prête au Docteur Malatesta la souplesse de sa voix et un véritable talent burlesque. Si le ténor Manuel Nuñez-Camelino semble moins convaincant, sans toutefois démériter dans le rôle du neveu Ernesto, c’est en raison d’une projection insuffisante et d’aigus très serrés qui ne permettent pas à son air « Povero Ernesto » ni à sa sérénade de s’épanouir pleinement, nous privant un peu de la magie du chant qui devrait faire contraste avec le second degré des décors.
Le Chœur Lyrique de Saint-Étienne Loire, placé sous la responsabilité de Laurent Touche, rend parfaitement justice à l’œuvre, n’en faisant ni trop ni pas assez dans ses interventions impeccables. Pétillant, malicieux, mais aussi sentimental et romantique (le chant du violoncelle dans la Sinfonia, le solo de trompette au début du deuxième acte), l’Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire donne une belle lecture de ce Don Pasquale, que le chef chilien José Luis Domínguez dirige avec entrain et précision, dans une bonne humeur communicative, laissant toujours affleurer sous son apparente légèreté la consistance de cette musique dans son jeu constant avec la tradition et les topoi. Voilà qui met du baume au cœur en ce début d’année 2015 !