Grand oratorio de chambre, sorte de pendant profane du Golgotha, Le Vin herbé fut composé par Frank Martin entre 1938 et 1941 et raconte plus qu’il ne la montre la légende de Tristan et Iseult, non pas telle que l’a voulue Wagner, mais telle que l’avait adaptée le linguiste français Joseph Bédier, qui fut un peu à la littérature médiévale ce que Viollet le Duc fut à l’architecture, abondants médiévismes très ostensiblement accumulés à l’appui.
Ce Vin herbé est donc le philtre magique que la mère d’Iseult a préparé pour lier sa fille au roi Marc, mais qui sera servi par erreur à Tristan et Iseult. On connaît la suite…
Une première version de la partition (un acte seulement, celui de la rencontre des amants et du philtre) était achevée avant la guerre et fut créée à Zurich le 16 avril 1940. L’émergence du conflit mondial et la tragédie de la mort de son épouse poussèrent le compositeur à remettre son ouvrage sur le métier : il y ajouta deux actes, un prologue et un épilogue. Ainsi, ce qui au départ ne dépeignait que l’amour absolu, fruit du destin, devint un poème d’amour et de mort, terriblement marqué par la fatalité. Si Martin reprend et amplifie sa partition initiale pendant la guerre, c’est aussi pour se démarquer autant que faire se peut du modèle wagnérien sur lequel les nazis ont entretemps mis la main : pas de prétention au grandiose, une vision beaucoup plus douce du personnage d’Iseult, pas de référence philosophique mais un retour aux sources médiévales les plus sures et à la fin, image d’espérance, la ronce volubile qui réunit les tombes des deux amants, telles sont les principales différences entre les deux livrets.
L’écriture de Frank Martin est belle et émouvante, très étroitement liée au texte dont le rythme propre est toujours respecté, chambriste dans l’âme, savante mais peu démonstrative, avec une étonnante douceur dans le dramatisme, une sorte de consentement au tragique qui n’appartient qu’à lui.
Découverte très intéressante, donc, d’une partition très rarement jouée. Cela ne suffit hélas pas à faire un bon spectacle. Le Rias Kammerchor connaît pourtant bien la partition puisqu’il l’a enregistrée, sous la direction de Daniel Reuss, pour Harmonia Mundi en 2007. Manque de travail sans doute, ou direction insuffisamment préparée, sa prestation l’autre soir était décevante : défaut de précision dans les attaques, faiblesse de l’articulation, peu de familiarité avec la diction française (en particulier la couleur des voyelles), il aura manqué quelques répétitions et un bon coach de langue à ce chœur de réputation internationale pour parfaire son travail. Le ténor néerlandais Marcel Reijans qui tient le rôle de Tristan, ne paraît guère mieux préparé : l’intonation imprécise, il chante le nez dans la partition en battant la mesure et semble découvrir le texte au moment même où il le dit. La voix ne manque pourtant pas d’une certaine vaillance, qui sied bien au rôle. Johanna Winkel qui chante Iseult, et Sophie Harmsen en Branghien s’en sortent mieux : bonne diction, quelques beaux élans lyriques et un solide engagement sauvent leur prestations. Le personnage assez présent du duc Hoel est tenu de façon inégale par Jonathan de la Paz Zaens, voix prometteuse mais encore trop verte pour le rôle, celui de la mère d’Iseult échoit à Waltraud Heinrich assez peu convaincante. Les interventions peu nombreuses du roi Marc sont bien menées par Johannes Schendel. Les autres rôles sont attribués à des membres du chœur, dont les possibilités ne permettent pas toujours l’emploi qu’on leur a confié.
L’ensemble de musique de chambre de la Monnaie semble mieux préparé que le chœur, et on soulignera avec plaisir les magnifiques solos du premier violon Zygmunt Kowalski ou de l’alto Vincent Hepp qui exaltent quelques moments forts de la partition. La direction assez sèche de Hans-Christoph Rademann s’attache surtout à maintenir en bon ordre l’ensemble de ses troupes, et y parvient d’ailleurs globalement, mais sans réelle vision interprétative.