Une salle debout applaudissant et acclamant pendant de longues minutes toute l’équipe ayant donné vie au spectacle, cela vaut tous les commentaires. Libre à qui voudra de faire la fine bouche, le fait est là : le Châtelet de Jean-Luc Choplin a encore une fois touché dans le mille et soulevé d’enthousiasme le public parisien.
Sold out depuis longtemps, ce spectacle porte une fois encore une griffe bien particulière. Nous ne sommes pas dans le Broadway des soirs de routine. Nous sommes dans le Broadway qui s’assume Broadway et porte avec lui toute la magie de Broadway. C’est du super-Broadway.
Comme dans d’autres spectacles vus sur cette scène, la scénographie est à la fois économe et intelligente. La mise en scène de Robert Carsen la manipule avec bonheur. Au cœur de ce Hollywood en train de s’inventer et déjà mythique, c’est un théâtre à double ou triple fond qui s’offre à nous : nous sommes tantôt spectateurs lambda du film qui se joue devant nous, tantôt invités à en visiter les coulisses, tantôt devant l’écran, tantôt derrière, tantôt public captif, tantôt témoins complices.
Ces malices de mise en scène ne nous privent pas du bonheur simple et naïf des pages à grand spectacle que contient Singin ‘ in the rain : le ballet scintillant des boys et des girls, bien sûr, mais aussi, tout bêtement, la scène sous la pluie, où l’on ose la comparaison directe avec le film, sans en rien décevoir ni pâlir par comparaison.
Le rythme visuel de l’œuvre est servi avec une maîtrise assez époustouflante, multipliant les plans, les cadrages, les profondeurs de scène, et faisant un usage des groupes (si nombreux) parfaitement lisible et judicieux. Comme ce fut le cas dans My Fair Lady, les costumes d’Anthony Powell et les décors de Tim Hatley participent amplement de ce chatoiement visuel.
Cette virtuosité trouve dans le cast son juste répondant. Portant le spectacle sur ses épaules (il est omniprésent), le Don Lockwood de Dan Burton est époustouflant d’aisance : la voix de baryton est douce et idéalement posée pour ce répertoire, l’acteur est sympathique en diable et le danseur est irréprochable, se permettant même dans sa gestuelle une forme de nonchalance souriante qui le fait échapper à toute raideur scolaire.
Le couple qu’il forme avec la Kathy Selden de Clare Halse est idéal : l’artiste anglaise est d’un chic parfait, sans jamais surcharger le rôle de minauderies. Il y a dans sa voix et dans sa danse une sensualité affleurante et une énergie qui imposent un personnage pétillant et attachant.
Daniel Crossley est un Cosmo Brown parfait, à la fois gouailleur, tonique et parfait danseur, malgré un timbre un peu mis à mal par un « Make ‘em laugh » conduit à un train d’enfer. Voix haut perchée et idéale tête à claque, Emma Kate Nelson donne à Lina Lamont la stature idéale, peste presque pathétique : parler et chanter avec cette voix suraiguë coincée dans le nez est en soi une gageure. Immense succès pour la rondelette Jennie Dale, qui livre un numéro drolatique et endiablé de claquettes.
Le reste du cast est à la hauteur des protagonistes et les ensembles chorégraphiés par Stephen Mear sont irréprochables. L’Orchestre de Chambre de Paris emmené par l’excellent Gareth Valentine démontre une fois de plus sa formidable capacité d’adaptation et son intelligence de répertoires fort divers.
Pour conquérir le public en remplissant une salle à craquer de gens de tous âges qui ne veulent plus partir, il suffit en somme de mêler magie, charme, esprit et énergie. Simple, non ?