Le Massacre de la Saint-Barthélemy, ce 24 août 1572 où débuta le massacre des protestants à Paris, a fasciné autant qu’inspiré de nombreux artistes du XXe siècle, dont Patrice Chéreau qui, en 1972, avait mis en scène au théâtre la pièce de Christopher Marlowe, Massacre à Paris, et adapté quelques années plus tard le roman d’Alexandre Dumas père pour son film La Reine Margot en 1994. Wolfgang Mitterer, compositeur et organiste né en 1958, s’inscrit dans la lignée de ces artistes qui choisissent d’injurier la Beauté et de faire entrer la question du mal politique dans l’opéra.
A Toulouse, la mise en scène de Ludovic Lagarde est réduite à l’essentiel. Cinq chanteurs et une danseuse habitent l’espace au fond duquel un écran projette une série d’images d’archives, avec des effets de surimpression, des lambeaux d’histoire. Le long de la scène, sur un rail, le travelling latéral d’un homme à la caméra immortalise les faces grimaçantes des protagonistes dans des clichés qui apparaissent sur une série de petits écrans juxtaposés. Comme chez le cinéaste Dziga Vertov, la caméra est un œil qui expérimente autant qu’il témoigne, mais ici avec une obscène curiosité, où la violence est réifiée dans une forme esthétisante et complaisante.
A la trame sonore, préenregistrée, se superposent en temps réel les instruments du Remix Ensemble Casa de Música ainsi que les voix amplifiées des cinq chanteurs, une configuration complexe que la direction maîtrisée de Peter Rundel surmonte avec brio. Cette musique fragmentaire où s’entrechoquent harmonie et disharmonie alterne ainsi composition, improvisation et citations d’œuvres, où l’on peut notamment reconnaître le Spem in alium de Thomas Tallis, un contemporain du massacre, et plusieurs cantates de Jean-Sébastien Bach.
© Patrice Nin
La partition est redoutable pour les cinq chanteurs et exige d’eux une solide technique puisqu’elle les conduit à la limite de leurs possibilités vocales : au chant classique succède ainsi le cri animal de personnages que la cruauté a déshumanisés. Certaines vocalises du duc de Guise, interprété par Lionel Peintre, n’ont plus rien de l’ornementation et de la virtuosité baroques, elles sont comme des aboiements. Chez la duchesse de Guise de Piia Komsi, les notes suraiguës, au moment de sa damnation, laissent entendre une certaine forme de démence. Et c’est avec la même animalité que les personnages se meuvent sur scène, lentement, et le regard oblique.
Mais dans quelle époque vivons-nous exactement ? L’interrogation de Wolfgang Mitterer est bien entendu purement rhétorique. Sur l’un des écrans au fond de la scène, les chiffres d’un calendrier semblent détraqués, à l’instar de ces hommes qui, de la Saint-Barthélemy à nos jours, vont jusqu’à la folie meurtrière, et ce, par goût du pouvoir plus que par religion.