Le récital est un exercice difficile. Comme le dira lui-même Vittorio Grigolo vers la fin de son concert, « on peut se cacher derrière un orchestre mais pas derrière un piano ». Et c’est d’autant plus vrai lorsque le programme est essentiellement composé de ces mélodies italiennes qui sont autant de petits trésors uniques, simples et délicats. Quand un chanteur s’attaque à un cycle de lieder, il sait qu’il dispose d’un matériau qui lui permet d’exprimer tout un panel d’émotions, d’un texte fort et poétique, mais chez les latins, c’est à l’opéra que se joue le drame. Au service de ces morceaux, Luciano Pavarotti savait comme personne user de sa voix d’or. Enrico Caruso n’était jamais aussi unique que lorsqu’il enregistrait ce répertoire qui le touchait au fond de son cœur de napolitain. Carlo Bergonzi y mettait tout son art du phrasé et de la coloration : avec lui, chaque mélodie était une explosion de sensations, un peu comme lorsqu’on rentre pour la première fois dans la boutique d’un traiteur parmesan. Ne disposant pas d’un matériau vocal comparable à celui de ces glorieux devanciers, le ténor toscan a quant à lui choisi de défendre ce programme au travers d’une autre approche : celle de théâtraliser chacune de ces pièces. Arpentant la scène de cour à jardin, debout, agenouillé, les yeux rêveurs ou rageurs, les bras ballant d’accablement ou dressés dans le désespoir, caressant l’encadrement du proscenium, c’est peu de dire que le chanteur abandonne ici la posture classique du récitaliste. Malheureusement, cette dramatisation trop systématique finit par être excessive, faisant oublier les qualités musicales réelles de cet artiste.
Certes, le timbre n’est pas très caractéristique, mais la voix est brillante et étonnamment puissante dans le haut de la tessiture. Le grave est en revanche plus confidentiel et l’absence de largeur se fait particulièrement sentir dans l’air du Corsaro où bien des phrases ne sont pas très audibles (pour l’occasion, Grigolo enlève son nœud papillon, le jugeant sans doute trop formel pour un corsaire). Grigolo excelle en revanche dans le contrôle du souffle, quasi inépuisable, avec par exemple des piani en voix mixte ou en voix de poitrine, enflés forte avant de redescendre piano : maîtrise remarquable, mais dont le chanteur abuse au risque encore une fois de lasser. On sent ici un artiste qui veut trop démontrer, désireux à tout prix de conquérir son public. Et on le croit sur parole lorsqu’il s’épanche longuement sur l’art du récital, sur le fait qu’un artiste et son public forment un tout connecté par l’émotion . On sourit quand il fustige avec humour les « faux-amis » de Facebook et les pianoteurs compulsifs de smartphone. On s’émeut lorsqu’il confesse « on a dit de moi que je donnais trop et que je ne durerai pas trois ans : ça fait 20 ans que je chante » . Mais on est réticent lorsqu’il dédie « Una furtiva lagrima » à un enfant disparu, déconcerté par ce dernier morceau du programme qui laisse la salle dans le noir absolu (et de même pour le dernier bis), agacé quand il encourage la salle à applaudir au milieu d’un air comme si nous étions au stade (même s’il s’agit de «O sole mio»).
Et pourtant, le public du Théâtre des Champs-Elysées finit par se laisser séduire parce que, dans ses excès, Grigolo reste un artiste sincère. Et c’est avec enthousiasme qu’une salle debout entonne avec lui le « libiamo » de La Traviata. Signalons enfin l’excellent travail de Vincenzo Scalera, décidément l’un des meilleurs accompagnateurs qui soient, tout dévoué à mettre en valeur cette musique et son interprète.