Pour sa première édition, le festival Paris Mezzo* propose une série de concerts dans des endroits aussi variés que la Philharmonie de Paris, l’église Saint-Germain-des-Prés ou la salle Gaveau, lieu idéal pour un récital intimiste chant/piano comme celui du 9 juin. Du fait de l’annulation de Ludovic Tézier, le programme initial a été modifié mais sa structure est restée identique, avec une première partie consacrée à la mélodie et une seconde à l’opéra. Airs et duos alternent, comme il se doit lorsqu’on a deux chanteurs, ce qui nous vaut d’entendre en ouverture de soirée des extraits des rares Sechs duette op. 63 de Mendelssohn écrits pour mezzo-soprano et baryton ainsi que le superbe « In der Nacht » de Schumann, tiré des Spanisches Liederspiel op. 74, composés à l’origine pour un ténor et une soprano. La partie consacrée à l’opéra s’avère moins originale avec de nombreuses pages rebattues mais néanmoins défendues avec conviction par les trois protagonistes de la soirée.
Jean-Sébastien Bou, on l’a dit, remplaçait Ludovic Tézier. On ne saurait donc lui tenir rigueur d’une certaine réserve en début de soirée dans les trois Mendelssohn où sa voix est presque toujours couverte par celle de sa partenaire, au détriment de l’équilibre de ces duos, pas plus que de ses légers écarts de justesse dans le « Nacht und Traüme » de Schubert. En revanche, on louera sa magnifique interprétation des trois mélodies de Ravel. Dernière œuvre du compositeur, les Chansons de Don Quichotte à Dulcinée avaient été conçues initialement pour le film que Pabst avait tiré de l’œuvre de Cervantès mais Ravel ne put les achever dans les temps. Jean-Sébastien Bou s’y montre tout à fait à son aise, sachant varier les coloris au gré des différents affects et jouer de sa dynamique vocale pour peaufiner son interprétation. En outre, sa diction impeccable contribue à faire de ce cycle l’un des moments forts de la soirée. Dans la seconde partie, le baryton se montre plus détendu, offrant à sa partenaire une réplique de choix dans les duos des Noces de Figaro et de Così fan tutte. Sa sérénade de Don Giovanni, rôle qu’il a tout récemment tenu à Bruxelles, est chantée avec toute la suavité requise et son air de Guglielmo ne manque pas de truculence mais c’est son interprétation poignante de l’air d’Hamlet « Comme une pâle fleur » qui lui vaut une acclamation bien méritée de la part du public.
Très élégante dans ses deux somptueuses tenues, une robe noire pour la première partie, une autre de couleur orange après l’entracte, Karine Deshayes a paru en grande forme vocale dès son entrée en scène. Son interprétation sensible de « Ganymed » de Schubert séduit d’emblée l’auditoire qui est ensuite conquis par ses « Adieux de l’hôtesse arabe » de Bizet où son timbre homogène, délicatement ambré, et son impeccable ligne de chant font merveille. Un regret cependant concernant la diction qui n’est pas toujours intelligible : la mezzo-soprano semble privilégier le legato au détriment des consonnes ce qui est parfois gênant pour la bonne compréhension du texte, essentielle dans une mélodie. Les deux pages de Fauré sont moins concernées par cette petite réserve, notamment « Les roses d’Ispahan » que Karine Deshayes avait enregistrée en 2009, et qu’elle interprète avec beaucoup de sensibilité et de retenue.
Dans la partie consacrée à l’opéra, la mezzo-soprano campe une Susanna mutine et une Dorabella délicieusement coquette face à son partenaire. L’inusable « Voi che sapete » est chanté avec un chic et un charme exquis, mais c’est l’air de Marguerite « D’amour l’ardente flamme » où elle peut laisser s’épanouir l’ampleur de sa voix qui produit la plus grosse impression et constitue un autre temps fort de la soirée. Ovationnée par la salle, elle enchaîne avec deux pages du Barbier de Séville, un ouvrage qu’elle a souvent chanté à l’Opéra Bastille. Sa Rosine, bien connue du public parisien, ne réserve aucune surprise si ce n’est l’ornementation raffinée de « Una voce poco fa ».
Jeff Cohen, offre à ses deux partenaires un accompagnement fluide et élégant, aussi à son aise dans les subtilités de l’écriture de Mendelssohn ou de Schubert que dans les réductions d’airs d’opéras.
En bis, deux duos, « La ci darem la mano » et « Barcarola », une mélodie de Gounod en italien, donnent lieu à une succession de gags autour des partitions perdues, retrouvées et perdues à nouveau avec un incessant va-et-vient entre les coulisses et la salle qui déclenche l’hilarité du public dans une atmosphère bon enfant.
* Le festival Paris Mezzo se poursuit jusqu’au 30 juin (plus d’informations)