Jésus descendu de sa croix relevant la mère supérieure tombée à la renverse, voilà un gag que n’avait pas prévu Jérôme Deschamps dans sa mise en scène des Mousquetaires au couvent. Pourtant, c’est à cette scène qu’un public enthousiaste a eu droit lors des saluts, quand la titulaire du rôle se prit les pieds dans les plis de son ample robe. On ne dévoilera pas comment un tel miracle a été possible, ce serait gâter un des effets comiques d’un spectacle qui en est riche, et qui voit la verve deschampêtre s’appliquer à une œuvre idoine. Rien de tel qu’un traitement alla Deschiens pour faire s’envoler la poussière accumulée sur une œuvre, comique de préférence. Au soupçon d’anticléricalisme d’une opérette créée sous la IIIe République, le metteur en scène répond par quelques judicieux anachronismes et une aimable irrévérence, allant jusqu’à ajouter à la partition une citation du célèbre « Jésus revient » de La Vie est un long fleuve tranquille. Après un premier acte dont le décor évoque les fermes-jouets pour enfants, le couvent présente l’aspect d’un bâtiment d’aujourd’hui, avec ses pupitres modernes, son matériel anti-incendie et son défibrillateur, mais les costumes, où brille la fantaisie propre à Vanessa Sannino, situent l’action dans un XVIIe siècle aux couleurs de bonbons acidulés. Avec cette reprise parisienne d’une production créée à Lausanne, Jérôme Deschamps tire superbement sa révérence, et la fermeture prolongée de la Salle Favart n’en paraîtra que plus longue.
Non content d’offrir au public cet ultime cadeau, Jérôme Deschamps s’accorde aussi le plaisir de jouer un rôle, comme dans Ciboulette, mais le Gouverneur est ici nettement plus présent, et en plus il chante. Le personnage devient un délicieux demeuré, un sympathique crétin, et en voyant les mimiques et les accents de la mère supérieure campée par Nicole Monestier, on songe qu’à défaut de pouvoir s’arroger ce rôle-là aussi, le metteur en scène aura réussi à faire d’elle son quasi-clône. Jérôme Deschamps sait heureusement avoir la main légère quand il le faut, et il est rare qu’un gag arrive à un moment mal choisi. Ainsi, lorsque Gontran chante sa Romance au deuxième acte, on pourrait s’offusquer de l’arrivée de pompiers qui font pouffer le public, mais vu ce que fait Sébastien Guèze, ce n’est peut-être pas plus mal : débit haché, aigus tirés, cette si belle page est plus sacrifiée par le chanteur que par la mise en scène. S’il est assez réjouissant que le ténor endosse un rôle comique à l’encontre de son image de Tom Cruise lyrique, sa voix reste assez dénuée de séduction, à nos oreilles du moins. Déception aussi avec Marc Canturri qui, pour avoir déjà interprété Brissac à Lausanne, n’en est pas moins fort limité aux deux extrêmes de la tessiture ; sa prestance ne suffit pas à faire pardonner sa manière de briser la moindre ligne vocale un peu ornée. Dans le rôle très bref de Rigobert, Ronan Debois semble avoir perdu sa voix, car il peine à se faire entendre. Tout le contraire de Franck Leguérinel, toujours aussi sonore malgré une certaine usure du timbre, acteur bien-disant et toujours aussi impayable, même si un peu plus de précision rythmique serait parfois bienvenu.
© Pierre Grosbois
Avec les dames, en revanche, le satisfecit est total. Dans un emploi de servante coquine, Anne-Catherine Gillet montre qu’elle a tout l’abattage d’une meneuse de revue, rompant définitivement avec les « nunuches » qu’elle aime tant à défendre : depuis quelques années, la voix a pris une ampleur qui lui permet d’aborder un tout autre répertoire. Membre de l’Académie de l’Opéra-Comique, Anne-Marine Suire est une très tendre Marie, dont elle a toute la fraîcheur rêveuse, tandis que sa sœur Louise bénéficie de la verve et du chien d’une Antoinette Dennefeld qu’on a hâte d’entendre dans des personnages de premier plan. Doris Lamprecht est scéniquement divine en religieuse moustachue, et l’on distinguera spécialement parmi ces demoiselles de l’Académie la truculente Agathe de Valentine Martinez.
Aussi à l’aise dans cette bouffonnerie que dans la musique d’église, le chœur Les Cris de Paris prête ses voix franches aux mousquetaires comme aux pensionnaires du couvent. A la tête d’un Orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon qui sonne fort bien dans la fosse de la Salle Favart, Laurent Campellone déploie son énergie coutumière : son amour du répertoire français ne ferait-il pas de lui le chef idéal dans cette maison ? Espérons que la réouverture de la salle en janvier 2017 apportera son lot de nouveautés aussi enthousiasmantes que l’auront été les huit saisons du mandat Deschamps…