On ne s’ennuie jamais à un concert de Jean-Christophe Spinosi et de l’Ensemble Matheus. Et le Mezzo Furioso de ce soir au Théâtre des Champs Élysée, réunissant sur la même scène deux mezzo-sopranos et un contralto (en réaction au Gala des contre-ténors de Max Emmanuel Cencic ?) réserve son lot de surprises.
Jusqu’à la fin de la première partie, la soirée ronronne pourtant quelque peu devant une salle clairsemée. Le programme ne prévoit qu’un seul duo extrait de Giulio Cesare et un très court trio extrait de La Verità in cimento : les trois chanteuses se succèdent donc sur scène dans des airs tirés d’opéras de Haendel (de larges extraits de Serse, que Jean-Christophe Spinosi jouait à Versailles quelques jours auparavant, avec déjà Malena Ernman, complétés par des airs d’Orlando et Giulio Cesare) et de Vivaldi (une collection hétéroclite de « tubes », de « Agitata da due venti » à « Nel Profondo » en passant par « Sol da te »). La première à tirer est Malena Ernman avec un « Ombra mai fù » qui laisse un peu de marbre : le timbre est agréablement nourri mais on sent un inconfort dans la gestion des registres. Ce n’est rien à côté de son interprétation du très bartolien « Agitata da due venti » : l’agilité semble forcée, la vocalise savonnée et l’intonation parfois hasardeuse. Les postures et autres œillades appuyées ne peuvent compenser le déficit d’agilité. La mezzo suédoise se montre sous un bien meilleur jour en deuxième partie avec des airs de Serse qui lui permettent de faire montre de son tempérament et d’un ambitus large, même si, là encore, les vocalises sont un peu bousculées du fait des tempi échevelés de Jean Christophe Spinosi.
La mezzo irlandaise Paula Murrihy qui remplace Jennifer Holloway, n’a pas l’opulence de timbre de sa consœur mais a d’autres atouts, surtouts audibles en deuxième partie quand la chanteuse se libère, avec un « Si, la voglio » extrait de Serse, épatant d’engagement. Ailleurs, le chant semble un peu unicolore et l’on rêve d’allègements plus diaphanes dans « Sento in seno » ou « Zeffiretti, che sussurate », trop terriens.
Et puis Sonia Prina entre en scène pour un « Ah ! Stigie larve » stupéfiant. On est ici dans l’hyper expressionnisme : la chanteuse ose tout, la voix parlée, les cris, les susurrements, les grincements. On passe brusquement du concert au théâtre pur. On ne sait qu’en penser, on est sous le choc. Les égarements d’Orlando auront rarement été aussi viscéralement retranscrits. La suite sera beaucoup plus classique : un « Nel profondo » de l’Orlando furioso de Vivaldi, bien varié mais moins habité, auquel manque une certaine démesure, et un « Sol da te » élégant mais desservi par un timbre plutôt mat.
On retrouve cet effet « montagnes russes » dans la direction de Jean-Christophe Spinosi. Il n’a pas son pareil, suivi comme un seul corps par ses musiciens de l’Ensemble Matheus, pour fouetter les mouvements rapides, quitte à mettre en péril les chanteuses. En revanche, il peine à maintenir la tension dans les parties plus lentes comme le « Son nata a lagrimar ». On applaudit également les prestations des flutistes et joueurs de traverso (Alexis Kossenko et Jean-Marc Goujon), formidables que ce soit dans le concerto de Telemann ou en duo avec la voix dans « Sol da te ».
C’est dans des bis très iconoclastes que se manifeste à plein le grain de folie du chef : d’abord un duo du Couronnement de Poppée qui se transforme en trio, puis un solo (« Crude furie ») qui se mue en trio vengeur. On a plaisir à voir enfin les trois chanteuses ensemble sur scène, rivalisant, se chahutant. Et quoi de mieux pour finir que de jouer un morceau d’un auteur… zimbabwéen. Oui vous avez bien lu, avec le contrebassiste qui se prend pour un percussionniste et le trio de chanteuses la brune la blond platine et la blonde vénitien qui se prennent au jeu, devenant choristes et danseuses. Devant tant de bonne humeur, il faudrait être vraiment grincheux pour faire la grimance.