Pour le nouveau programme du Concert d’Astrée, Emmanuelle Haïm a choisi chez Händel et Purcell, des airs d’opéras chargés de passion, de magie, de malédictions, de complots… Deux jours après Dijon, il est présenté ce 17 octobre dans sa première distribution vocale au Théâtre des Champs-Élysées. Anne Sofie van Otter et Laurent Naouri suivront en mars 2016 dans ce même lieu. Pour l’heure, c’est la soprano Patricia Petibon et la basse Nahuel Di Pierro qui vont se confronter, s’affronter, se lamenter, se menacer…
Plus qu’accompagnés par le fameux ensemble instrumental sous la pression stimulante de sa fondatrice, les chanteurs sont soutenus, voire attendus si nécessaire. Emmanuelle Haïm n’économise pas son énergie ; elle s’implique corps et âme dans l’aventure musicale baroque. Sa longue soutane noire zippée laisse à ses mouvements toute la liberté nécessaire à sa direction athlétique à poings nus. Plus que simplement émis, le son est sculpté au burin plutôt que ciselé, mais quel que soit le tempo adopté, les cordes sont bien assemblées, les vents spirituels à souhait, le continuo irréprochable.
La première partie du concert est consacrée à Rinaldo. Après l’ouverture où violons et hautbois ont l’occasion de briller, Nahuel Di Pierro, originaire d’Argentine, attaque avec l’autorité rare d’une basse véritable et un physique de jeune premier, l’aria d’Argante « Sibillar gli angui d’Aletto » suivi de « Vieni o cara ». Souffle large, ligne de chant impeccable, il exprime parfaitement la dignité du roi de Jérusalem. Ces belles qualités se confirmeront dans ses duos avec Armida sa bien-aimée, ainsi que dans l’air du Génie du froid de King Arthur de Purcell et les extraits de The Fairy Queen.
Patricia Petibon interprète, quant à elle, différents airs d’ Armida, dont le fameux « Furie terribili ». En dépit de nombreux petits jeux de scènes légèrement accessoirisés de manière ludique qui ne font que sourire le public, la soprano déçoit. C’est sans grande conviction, avec un chant imprécis et une diction approximative, qu’elle incarne ce rôle de sorcière. Manque de préparation, moyens insuffisants ou fatigue passagère ? Heureusement, dans la longue complainte de Nuit « See even night » dans The Fairy Queen, on retrouve la voix nuancée, la vivacité et la sensibilité que l’on aime chez elle.
Après l’entracte, l’ouverture d’Amadigi di Gaula nous replonge dans l’atmosphère de la sorcellerie haendélienne. Ensuite, avec l’air de Aci, Galatea e Polifemo « Fra l’ombre e gli orrori », dont il possède toute la noirceur caverneuse, Nahuel Di Pierro hypnotise le public qui éclate pour la première fois de la soirée en applaudissements prolongés. La place est chaude pour accueillir à nouveau la soprano avec « Ah, mio cor » — l’un des sommets d’Alcina enregistré antérieurement avec le Venice Baroque Orchestra. Donnant tout vocalement et émotionnellement dans cette magnifique aria da capo à la ligne discontinue, opposée à un accompagnement instrumental qui remplit pleinement son office de toile de fond rythmique, Patricia Petibon reprend la main. Jusqu’au bout du concert, les deux chanteurs se feront complices et parviendront à maintenir la salle en état de réceptivité maximale. Petibon aura encore une épreuve à franchir : le redoutable ballet des ombres « Ombre pallide » vu par la magicienne, alternant chant furieux, vocalises et déclamation haletante. Mettant toute sa science du chant au service de l’expressivité, elle arrive au bout de ses peines. Il y aura encore des duettos avec Di Pierro dont, en bis, « Una guerra ho dentro al seno » de Apollo e Dafne. Puis, pour faire bonne mesure, un petit duo de Purcell.
Saluts joyeux. Public heureux. Décidément, le baroque réjouit les cœurs.