On n’évoquera aucun réveil de la force, mais juste un rêve éveillé dans ce blockbuster qu’est La Flûte enchantée de Mozart. L’occasion de redécouvrir la surprenante et féérique production des talentueux Cécile Roussat et Julien Lubek dans un décor poétique, tissé dans la toile du rêve de l’enfant Tamino parti à la conquête de l’amour, de l’amitié et de la vérité dans un univers enchanté, où les illuminations et autres enchantements s’enchaînent les uns aux autres. A l’instar de Mozart, les deux Français font le pari de la naïveté, pour transmettre une vision touchante du chemin qu’est la vie, livrant « des plaisirs simples et des trésors secrets », comme le disait Goethe en personne.
Véritablement, il y a chez ces deux compères un mélange de malice amusée et de tendresse étonnée. Et ce sont ces qualités qui inondent durant trois heures la scène. L’opéra de Mozart devient le rêve d’un enfant alité : Tamino et Papageno sortent de son lit, la Reine de la Nuit du cadre d’un tableau, les trois dames sont des potiches de cheminée qui s’animent et deviennent à petits pas des sarcophages égyptiens. Chapeau de travers comme un ramoneur, Monostatos emmène avec lui d’irrésistibles grosses têtes. Par contraste, l’univers de Sarastro est sérieux mais jamais solennel : c’est le monde du savoir symbolisé par les livres dans lequel on pénètre à travers la bibliothèque ! Et tout cela est frais, sincère, immédiat…
© Opéra Royal de Wallonie – Lorraine Wauters
Dans le rôle de Pamina, prenant les traits d’une poupée prisonnière dans sa cage, et un peu tendue au départ, Anne-Catherine Gillet se libère dans le deuxième acte pour venir illuminer la scène dans les envolées lyriques, donnant à son personnage intensité et charme. Anicio Zorzi Giustiniani est un Tamino crédible quoique son allemand semble à quelques moments du premier acte pour le moins pittoresque. Cela ne l’empêchera pas de dominer le second avec noblesse et conviction. C’est d’ailleurs toute l’ambiguïté de La Flute enchantée : bien que Mozart désigne son œuvre comme « Grand Opéra », elle possède plutôt les caractéristiques du singspiel, œuvre où alternent dialogues et airs. Les personnages étant à l’origine interprétés par des acteurs, Mozart a dû renoncer aux récitatifs et aux airs virtuoses, à l’exception de ceux écrits pour la Reine de la Nuit, interprétée par la soprano Burcu Uyar qui s’en sort bien malgré des aigus un peu nasillards lors du premier air, « O zittre nicht, mein lieber Sohn », censé être un véritable feu d’artifice de vocalises. C’est surtout dans le deuxième air, « Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen », qu’elle se montre sous son meilleur jour avec ses vocalises chargées de passion. Mario Cassi se révèle être un parfait Papageno : outre son chant « Der Vogelfänger bin ich ja » aussi célèbre que jovial, sa gentillesse et sa bonhomie traversent l’œuvre entière comme un instant de bonheur. Seule faiblesse, celle du jeune Gianluca Buratto qui manque de grave pour interpréter le rôle de Sarastro. Pour le reste, les petits rôles sont très soignés à l’instar de l’interprétation d’Anneke Luyten, en Première Dame au service de la reine ou encore le ténor Krystian Adam en Monostatos. Quant aux trois enfants, ces drei knaben ont beaucoup de charme.
A la tête de l’orchestre, le directeur musical de l’Opéra royal de Wallonie, Paolo Arrivabeni signe ici sa première Flûte. On sait l’homme verdien, et on a senti qu’Arrivabeni ne rendait pas toute la vivacité de l’œuvre de Mozart, restant à certains moments trop figé. L’orchestre manquait parfois de précision, n’arrivant pas toujours à relancer toute la féérie de l’action déployée musicalement et scéniquement sur le plateau. Dommage, mais après tout, un spectacle peut être meilleur que la somme de ses parties. C’est sans aucun doute le cas ici et l’impression qui s’impose à la fin de cette Flûte enchantée que l’on peut applaudir jusqu’au 5 janvier prochain.